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« La Vierge très pure prend son fils par la main ; elle se promène avec lui sur la terre, et s’en va trouver Jean-Baptiste. — Allons ensemble, parrain Jean, lui dit-elle, au fleuve du Jourdain, pour y baptiser mon fils, notre vrai Dieu ! — Là-dessus ils se mirent en route et arrivèrent, au Jourdain.

« Jean s’apprête à baptiser son Créateur. Et voilà que les eaux du fleuve cessent de couler, que les montagnes d’alentour se prosternent au niveau des prairies, et que le ciel se fend par le milieu pour laisser passer les esprits bienheureux. Le père éternel lui-même regarde du haut du firmament le baptême de son fils. Le baptiseur Jean tremble ; il peut à peine tenir son bréviaire, et la terre entière frémit de respect pendant qu’on baptise le vrai Dieu. »


Il est très rare que ces chants renferment une leçon morale ; si elle s’y montre, c’est comme une ombre importune et fugitive. Au milieu de ce perpétuel tissu de fleurs et de sourires, la morale n’apparaît que comme une maussade conseillère au front ridé, qui vient avec ses fâcheux proverbes avertir la jeunesse des abîmes qui l’entourent.


« Malheur aux champs que traverse une armée, malheur à la jeune fille qui va se promener seule ! On dit d’elle : Si elle était honnête, elle, resterait auprès de ses païens. — Veux-tu, jeune homme, l’assurer si une fille est vertueuse, n’écoule pas ses paroles, mais étudie son regard, et considère son maintien. — Défie-toi, fillette, du garçon au doux langage. Jusqu’à ce qu’il t’ait séduite, il te promet de t’épouser. T’es-tu donnée à lui : Attends pour nos noces, dit-il, jusqu’à l’automne ! L’automne arrive, l’hiver se passe, et au printemps il cherche une autre victime. »


On peut cependant citer quelques piesnas d’une moralité admirable et tout à fait dignes, sinon du christianisme, au moins de l’antiquité classique. Tel est le chant des fils ingrats.


« Une mère a mis au monde neuf enfans d’un même lit. Elles les a mis au monde, puis elle est devenue veuve. Veuve, elle les a élevés tous les neuf à l’aide de son travail et de sa quenouille ; puis elle en a marié huit. Quand elle s’apprêtait à marier le neuvième, celui-ci l’a chassée, vers la montagne en disant : Vieille estropiée, tu serais une honte pour moi et pour mon jour de noce, si mes convives te voyaient ici ! Va-t-en dans la forêt te faire manger par les bêtes. — Appuyée sur sa béquille, la pauvre mère s’en va en pleurant amèrement.

« Deux de ses petits-fils seuls ont voulu la retenir ; mais que pouvaient-ils, eux pauvres enfans, seuls contre la famille ? Sur sa route, la vieille rencontre un jeune et divin voyageur, saint Dimitri, qui lui dit : Vieille mère, qu’as-tu à tant pleurer ? La vieille, en sanglotant répond : J’ai mis au monde, neuf enfans d’un même lit. Je les ai mis au monde, et je suis devenue veuve. Veuve, je les ai nourris tous neuf à l’aide de ma quenouille. J’en ai marié huit, et le neuvième me chasse vers la forêt pour y devenir la proie des bêtes.

« Le divin voyageur répond : Retourne à ton logis, pauvre mère, tu y trouveras