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muse serbe, telles que le monologue de la Fillette au bord de la mer (Dïevoïka sïedi kraï mora ).

« Assise toute seule au bord de la mer, une jeune fille se disait : Mon Dieu, qu’y a-t-il de plus grand que la mer, de plus vaste que la plaine, de plus rapide que le coursier ? Qu’y a-t-il de plus doux que le miel ? Qu’y a-t-il de plus chéri qu’un frère ? — Doucement, du fond des eaux, un petit poisson lui répond : Fillette naïve, le Ciel est bien plus grand que la mer, la mer est bien plus vaste que la plaine, et le regard plus rapide que le coursier. Le sucre est plus doux que le miel, et l’amant, plus doux qu’un frère. »

Je ne crois pas que l’antiquité puisse nous offrir nulle part un fragment où respire une plus gracieuse innocence. Ça et là aussi, l’amour mêle à ces épanchemens naïfs des accens plus tendres :

« Une belle enfant dans son jardin creuse un sillon pour y conduire l’eau de la fontaine vers les fleurs qu’elle chérit, vers son parterre d’œillets jaunes et de blancs basilics. Fatiguée de son travail, la belle enfant s’endort sur le sillon qu’elle a creusé, la tête parmi les basilics, les mains parmi les œillets, et ses petits pieds dans le ruisseau. La rosée du soir vient rafraîchir son corps, couvert d’un léger tissu ; la rosée tombe sur elle comme sur la caille pendant l’été, comme sur le melon d’eau en automne. Mais voilà qu’un petit cerf inexpérimenté, s’appuyant sur le mur, saute dans le jardin. — Le petit cerf, c’était un jeune garçon. — Ayant sauté dans le jardin, il se dit à lui-même : Que dois-je faire ? me cueillir un bouquet, ou dérober un baiser à la jeune fille ? Si je cueille des fleurs, elles seront fanées demain ; mais si je donne un baiser à la jeune fille, je puis gagner son cœur pour toujours. »

On retrouve ce caractère de gracieux abandon dans une chanson que nous croyons devoir citer tout entière :

« Une belle moissonneuse s’est endormie, la tête appuyée à la souche noueuse d’un cornouiller. On troupeau vient à passer près d’elle, conduit par deux bergère. Le premier la regarde sans mot dire, et passe ; le second ne peut pas se taire : Jolie fillette, réveille-toi, dit-il, pour que nous allions tous les deux là-bas, dans ce champ couvert d’épis dorés. Nous y moissonnerons à l’envi l’un de l’autre. Si tu parviens à me devancer sur le sillon, je te donnerai mon troupeau ; si c’est moi qui le devance, tu deviendras ma fiancée. — La fillette se lève, met sa faucille sur l’épaule, et ils se rendent ensemble dans le champ couvert de jaunes épis. — Ils moissonnèrent depuis l’aurore jusqu’à la nuit. Neuf frères chéris liaient à mesure le blé coupé par la jeune fille. Neuf autres jeunes gens amassaient en gerbes les épis abattus par le berger. À la fin du jour, il y avait trois cent trois gerbes du côté de la jeune fille ; les témoins du jeune homme n’en avaient pu lier que deux cent deux. « La fillette s’avance, et d’un air dit triomphe elle dit : Maintenant que je t’ai vaincu, berger, j’attends que tu m’amènes ton troupeau. Le berger demande grâce, il cherche à s’excuser : Que feras-tu de mon troupeau et de ses nombreuses brebis ? Tu n’as point de prairie où tu puisses les faire paître, tu ne connais pas de source où tu puisses les mener boire, tu ne sais pas de lieu frais où elles se mettent à l’abri des chaleurs de midi. — La fillette moqueuse