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« Quand l’aube commença à blanchir le ciel, la mère du jeune Omer, prenant une branche de basilic, monta, pour les réveiller, à la chambre des nouveaux époux. — Que Dieu le tue, Fata, pour avoir fait mourir mon fils ! s’écrie la malheureuse en voyant Omer sans vie. Fata, en sanglotant, lui présente la lettre d’Omer….Après avoir lu ce triste adieu de son enfant, la mère fait laver son cadavre, dans de l’eau de rose, et le fait porter sans bruit, sur un léger brancard, devant la porte de Merima. Bientôt la jeune fille s’éveille, et, appelant sa mère, elle s’écrie : Je sens de l’eau de rose répandue autour de notre maison ; ce doit être l’âme d’Omer qui m’envoie ce parfum. — Petite folle, répond sa mère, à cette heure il est heureux dans les bras d’une autre que toi. Mais la jeune fille répète encore : Je sens l’odeur de l’âme d’Omer répandue autour de notre maison. Puis, se levant à la hâte, elle descend l’escalier et court vers le portail de sa demeure. Elle y trouve son pauvre Omer étendu dans le cercueil… Brisée de douleur, Merima couvre Omer de baisers, et tombe morte au pied du funèbre brancard.

« Croisant leurs sabres, les convives de la noce posèrent dessus les deux cadavres et s’en allèrent en silence les déposer dans un même tombeau. Peu de temps après, un vert sapin sortit du corps d’Omer, et de celui de Merima un beau rosier, qui s’enlaça à la tige du sapin comme un fil de soie autour d’un bouquet de basilic. Et sur ces verts tombeaux, les deux mères éplorées venaient pousser leurs lamentations et maudire quiconque a la dureté de séparer deux cœurs qui s’aiment. »


Les tragédies de ce genre ont beau se répéter, elles ne corrigent pas les mœurs, et la jeunesse iugo-slave en fait tous les jours l’amère expérience. Aussi les piesnas nous montrent-elles un jeune guerrier, un ïunak se décidant à rester célibataire et disant : « Je ne suis pas capable de me trouver une fiancée. Celles que je veux, on me les refuse ; celles que je ne veux pas, on me les impose, et moi, Ïunak, je ne veux pas d’un amour imposé (a ïa ïunak nametkinïe ne tju). » Un enfant de la Serbie, dans un chant recueilli par Vuk, raconte ainsi sa triste destinée :


« Assis sur un rocher de la Montagne-Noire, le malheureux Muïo pleure et compte les années de sa vie. — Voilà aujourd’hui neuf ans, dit-il, que je demande ma fiancée à ses parens. D’abord la mère me l’a refusée : j’ai donné à la mère une robe de damas, et la mère a consenti. Puis le père s’est opposé : j’ai donné au père un superbe manteau, et le père a consenti. Les frères alors se sont levés pour dire non : j’ai donné à chacun d’eux un jeune cheval, et les frères ont consenti. Mais les sœurs, à leur tour, ont refusé : j’ai donné aux sœurs des bracelets, et les sœurs ont consenti. Enfin la famille est venue protester : j’ai donné à chacun de ses membres des chaussures et des pantoufles, et la famille a consenti. Et voici qu’à présent c’est ma prétendue qui ne consent pas ! Que la foudre écrase tout ïunak qui demande sa fiancée à une famille au lieu de la demander à Dieu seul ! »

Le recueil de Vuk fourmille de protestations contre le sentiment national qui porte l’homme à mettre les liens de famille au-dessus