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et dans toute la ville ; mais les plus rusés supposent que cet inconnu est la femme déguisée de Stavro lui-même. Vladimir en conséquence prie l’ambassadeur de lui donner le spectacle des exercices guerriers de la grande orde, et de montrer à tous les Russes la supériorité de sa force. L’inconnu accepte, et renverse successivement les plus forts lutteurs de Kioev… On lui présente un arc russe, l’inconnu le dédaigne et demande le sien, machine énorme que dix hommes ont de la peine à porter. Quant à lui, il le soulève d’une seule main, tire et touche au but marqué…

« Enfin Vladimir essaie de vaincre lui-même le terrible ambassadeur au jeu de trictrac. À chaque partie, il est battu. Découragé, il se soumet à tout ce que l’ambassadeur réclame, et se prépare à payer les douze ans d’impôts arriérés. Cependant un festin splendide est servi au puissant envoyé de l’orde d’Or. Au milieu du repas, l’ambassadeur s’ennuie de ne pas entendre de musique : il demande qu’on fasse venir le plus habile joueur de gouslé de Kiœv. À cette époque, le plus habile gouslar russe était le boïar Slavro. Vladimir ordonne aussitôt d’enlever ses chaînes au pauvre prisonnier et de l’amener dans la salle du festin.

« Stavro arrive avec sa gouslé, et se place devant l’ambassadeur de l’orde d’Or. Il se met à jouer les airs grecs de Tsarigrad. Il exécute les danses de Jérusalem et les mélodies des Hébreux. Peu à peu l’ambassadeur s’assoupit, et, désirant dormir, il dit au grand prince Vladimir : Prince de Kiœv, je ne m’inquiète ni de tes tributs, ni de tes impôts ; je te demande en place ce pauvre et brave jeune homme, le boïar Stavro Godinovitch. Ravi de pouvoir s’acquitter à si bon compte, Vladimir remit Stavro à l’ambassadeur tatare, qui, le prenant par la main, sortit avec lui de Kiœv, suivi de son escorte et de Vladimir lui-même, qui le reconduisit respectueusement jusqu’au bord du Dniepre… C’est ainsi que la femme du boïar Stavro sut tirer son époux des cachots de Kiœv. »


À cette époque, les puissans princes et les simples marchands s’unissaient entre eux par des mariages, comme nous l’apprend Kircha dans la chanson intitulée : Soloveï Budimiroviich.


« Haut est le ciel étoilé, profond est l’abîme de l’océan, vastes sont les steppes de sable et forts sont les flots du Dniepre… Sur ses ondes, ce fleuve porte trente navires venus de la ville lointaine de Ledenets, où règne le tsar d’au-delà de la mer. Parmi ces trente beaux navires, le plus beau est celui du riche gost Soloveï, fils de Budimir. Ce navire a la forme d’un faucon dont deux gros saphirs forment les deux yeux. Il a pour sourcils de la noire zibeline d’Iakoutsk eu Sibérie, pour moustaches deux longues lames de fer, et à la place des oreilles deux tances de mirzas tatares… Deux pelisses de renard fauve enveloppent le gouvernail ; la poupe est sculptée en forme de tête d’uroch, et pendant que les deux côtés du navire représentent les têtes terribles des forêts, sa proue fend le fleuve avec la forme et la légèreté de l’oiseau.

« Sur le navire-faucon s’élevait, suspendue en l’air, une fraîche galerie aux brillantes couleurs. Là, les gosts, les honorables, assis, s’entretenaient ensemble du prix des dents de poisson, de la valeur des soies et des velours à ramage. Au milieu d’eux, le jeune négociant, Soloveï Budimirovitch, se mit