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et dont les boutons en valent sept mille… Elle traverse son jardin et arrive au nouveau palais. Elle écoute à la porte et entend des voix basses qui se répètent les unes aux autres : C’est la respectable veuve, mère de Soloveï, qui prie Dieu avec ses serviteurs. Zapava monte aux térèmes supérieurs, d’où elle entendait sortir une musique tendre et douce. Elle entrouvre furtivement la porte, et ses jambes fléchissent de stupeur, quand elle aperçoit, aux voûtes de la salle, le ciel entier, avec ses astres et ses étoiles et toutes les beautés de l’univers reproduites par d’habiles peintres.

« Tout à coup Soloveï jette de côté sa mélodieuse gouslé. Il s’avance vers la belle attendrie, lui baise sa blanche main, la conduit vers un lit d’ivoire, et la couche sur des coussins de plume d’oiseau. — Ne t’effraie pas, dit-il, Zapava, nous sommes tous les deux en âge de nous aimer. — La jeune fille le laissa faire, et tous les deux se fiancèrent en échangeant leurs anneaux d’or. Enfin la mère de Soloveï, la respectable veuve, arrive ; elle fixe le jour des noces, puis dit à son fils : Mon enfant, avant ton mariage, il faut que tu ailles conduire les marchandises à la Mer-Noire. Le fils obéissant part pour la Mer-Noire avec ses navires. Pendant son absence, il lui arrive à Kiœv un rival, Chap David Popov, dit le héros nu, qui demande aussi Zapava en mariage… Celle-ci, ennuyée d’être seule, accepte Chap Popov dit le Nu, et le mariage se célèbre. À ce moment même, la flotte du jeune Budimirovitch revient de la Mer-Noire. Il descend avec son équipage de son navire le Faucon, et s’en va faire les frappemens de tête (saints) d’usage au grand Vladimir. Il le trouve au milieu de sa gridnïa, donnant à manger à tout le monde, et célébrant les magnifiques noces de sa nièce Zapava avec Chap David Popov, le héros nu. Il commence à s’étonner : mais voilà que Zapava, en apercevant son premier fiancé, se lève brusquement d’auprès de Chap Popov, lui fait une profonde révérence, et le congédie avec ces mots : Adieu, seigneur ! Je te prenais pour fiancé, parce que je n’avais pas avec qui dormir, et Vladimir joyeux recommence une nouvelle noce. »


Peut-on mieux peindre ces gosts barbus et hardis de Moskou, qui résument tout l’héroïsme en billets de banque, et tout le bonheur de la vie en une belle femme et de bons dîners, race d’hommes à qui il ne manque plus que les Indes orientales pour devenir les plus épais représentans de l’industrialisme dans l’histoire du monde ? Ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’ils se trouvent déjà tels au temps de Vladimir : c’est de voir la nièce de leur Charlemagne, Zapava, se marier parce qu’elle n’a pas avec qui dormir, c’est d’entendre les gosts d’alors répéter comme leur proverbe le plus habituel : « qu’on ne se fâche jamais contre l’or et l’argent. »

Sur toute la période si agitée des successeurs d’Ivan le Terrible, Kircha n’a pu recueillir qu’une seule chanson véritablement historique, celle de Grégoire le Défroqué (Grichka Razstriga).

« Pourquoi, ô Dieu tout-puissant, t’es-tu irrité contre nous, au point de nous envoyer un pareil séducteur, un défroqué maudit, Grégoire Otrepiev ? Pourquoi l’as-tu fait arriver chez nous jusqu’à la dignité de tsar sous le