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vie commerciale de la Nouvelle-Orléans. Le spectacle qui s’offre à moi m’étonne même après New-York. Un vaste espace s’étend entre la ville et le grand fleuve ; cet espace est couvert de tonneaux, de balles de coton, et traversé en tous sens par des charrettes au galop qui emportent les marchandises ou reviennent à vide en chercher d’autres. Ces charrettes sont conduites par des noirs et traînées par des mules, ce qui me présente l’activité du commerce dans une grande ville américaine sous un nouvel aspect, à New-York, le mouvement, se répand le long des deux quais qui enserrent, la ville ; ici il se concentre sur une place immense : on peut l’embrasser d’un coup d’œil. Cette place est limitée, d’un côté par la ville, de l’autre par l’arc de Mississipi, sur lequel sont rangés côte à côte une multitude de grands bateaux à vapeur dont les énormes cheminées s’étendent à perte de vue comme une longue colonnade dressée sur les eaux. À chaque instant, un de ces bâtimens part ou arrive, emportant une foule qui accourt, ou débarquant une foule qui se précipite. Agitation incessante et immense flux et reflux d’hommes, de femmes, de charrettes, de chevaux, qui vont de la ville au fleuve ou du fleuve à la ville, débouchant par toutes les rues ou se dispersant dans toutes les directions, — c’est à travers ce tumulte, cette cohue grouillante que m’est apparu le Meschacebé !

Notre hôtel est lui-même une curiosité ; il renferme une vaste enceinte circulaire que surmonte une coupole, et qui pourrait être une église. Cette enceinte sert de bourse, et on y fait les ventes publiques. Les chambres de l’hôtel n’ont point de sonnettes ; les sonnettes sont remplacées par un appareil électro-magnétique : en appuyant sur un bouton, on interrompt le courant, et le chiffre de la chambre qui est reproduit sur un tableau placé dans le vestibule disparaît ; un timbre est frappé en même temps ; l’œil et l’oreille des garçons, toujours aux aguets, sont avertis à la fois, et le chiffre continue à être absent du tableau jusqu’à ce qu’on l’ait replacé. En ce pays, non-seulement la science est appliquée à l’industrie ; mais on l’emploie aux offices les plus vulgaires. Au lieu de tirer le cordon d’une sonnette, on fait jouer une pile de Volta !

Nous trouvons la cuisine meilleure que dans tous les autres hôtels américains : dernier signe de la tradition française dans un pays qui la voit s’effacer tous les jours davantage. Il y a dans la salle à manger des tables séparées où l’on peut s’établir sans être obligé de s’asseoir à son rang le long de ces tables de réfectoire usitées partout ailleurs aux États-Unis. Notre petit groupe français jouit beaucoup de cet arrangement, plus favorable à la conversation et qui permet ce qu’interdisent en général les mœurs américaines, d’être entre soi.

Le soir, nous sommes allés voir le Prophète. Nous avons eu un certain