Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/1238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient publiées depuis cinq ans ! Louis XIV, il est vrai, vit mourir Pascal un an après son avènement, et Corneille écrire sous son règne Agésilas et Attila ; mais c’est là un avantage qu’il ne faut pas exagérer : il serait assez étrange de lui faire honneur du génie de ces deux grands hommes, parce qu’il a eu la gloire de les enterrer.

Cela n’empêchera pas Racine d’écrire plus tard, en parlant de Corneille et de Louis XIV : « La France se souviendra avec plaisir que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes. » Eh ! mon Dieu, oui, la France s’en souviendra, et la postérité le dira, parce que vous l’avez dit. La chronologie n’a pas, il est vrai, ces complaisances de courtisan ; mais elle aura beau répéter avec sa brutalité ordinaire : le Cid est de 1636, Horace et Cinna de 1639 ; Polyeucte, de 1640 ; Pompée, de 1641 ; le Menteur, de 1642, etc., et Louis XIV n’a régné qu’en 1661 : — qui se soucie de ces dates ? Rien de plus ennuyeux. Comment veut-on que l’autorité d’une date, si décisive qu’elle puisse être, tienne contre celle d’un grand écrivain, lu, relu, appris par tant de générations et répété par les historiens à la suite ? La pauvre vérité a souvent de ces chances. Quand une fois une erreur semblable est entrée dans le domaine commun, ceux même qui ne la partagent point se servent pourtant des formules consacrées, et l’on continuera à compter Pascal et Corneille parmi les écrivains du temps de Louis XIV, comme on dit que le soleil se couche et se lève, en dépit de Copernic et de Galilée.

Ainsi Descartes, Corneille, Pascal, trois noms qui suffiraient à la gloire d’une nation, sont antérieurs au règne de Louis XIV. Il n’est pas inutile d’ajouter qu’au moment où ces grands hommes fixaient la langue par leurs écrits, des esprits moins illustres, qui firent longtemps autorité, épuraient notre idiome et en déterminaient les lois : Balzac, Voiture, Vaugelas, étaient morts depuis plusieurs années, quand Louis XIV parut.

Mazarin léguait au jeune roi, avec la France respectée au dehors et tranquille au dedans, la plus rare réunion d’hommes illustres qu’on ait peut-être jamais vue : Turenne et Condé, qui avaient déjà remporté leurs plus brillantes victoires ; de Lyonne, Louvois[1], Colbert. On sait qu’en recommandant ce dernier au roi, Mazarin mourant disait : « Je crois m’acquitter de tout ce que je dois à votre majesté, puisque je lui laisse Colbert. » Jamais en effet dette de reconnaissance ne fut plus amplement payée.

Louis XIV, pendant les premières années, continue avec fermeté

  1. Il avait obtenu en 1654 la survivance de la charge de secrétaire d’état au département de la guerre qu’occupait encore son père Letellier.