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siècle suivant, quand des passions nouvelles viendront la ranimer, et qu’à une époque stationnaire succédera une époque vivante et agitée, celle de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau.

S’il est vrai, comme le prouve le simple exposé des faits, que notre littérature, pleine de force et de vie avant Louis XIV, soit arrivée promptement sous son règne à un véritable dépérissement, qu’en faut-il conclure ? C’est que l’influence littéraire du grand roi a été ou nulle ou fatale.

Je sais que cette conclusion choque le préjugé vulgaire ; mais, pour apprécier la valeur de l’opinion commune, il serait sage d’examiner comment elle s’est établie. Tous les gens de lettres ne sont pas absolument désintéressés : n’est-il point permis de croire qu’en répétant depuis des siècles

Qu’un Auguste aisément peut faire des Virgiles,


quelques-uns d’entre eux avaient principalement pour but de stimuler la libéralité des princes ? Pour devenir un Auguste aux yeux de quelques gens de lettres, de tout temps le procédé a été bien simple : il s’agît uniquement de distribuer des pensions : les Virgiles qui les touchent n’ont garde de révoquer en doute l’efficacité de ce moyen. Le vulgaire d’ailleurs, trop disposé à assimiler la production littéraire à toutes les autres, croit volontiers que pour avoir de grands écrivains, il suffit d’en faire la commande et de ne pas trop lésiner sur les frais. Napoléon lui-même eut cette illusion. Avec un zèle vraiment louable, il chercha à se procurer un Corneille et n’y épargna point la dépense : on sait ce qu’il obtint. Convenons que les encouragemens accordés à l’industrie betteravière avaient produit de meilleurs résultats. Il va sans dire que cette expérience malheureuse n’a pas désabusé tout le monde. Il reste prouvé pour bien des gens que le régime qu’il faut regretter quand on est poète, imiter quand on est prince, c’est celui des royales munificences, où les pensions et les encouragemens allaient, dit-on, éveiller le génie : le règne de Louis XIV. Voyons donc si, même à ce point de vue assez peu élevé, le règne de Louis XIV mérite sa réputation.

Remarquons d’abord qu’il est parfaitement faux de dire, comme on le répète chaque jour, que, le premier, Louis XIV eut le mérite de dérober les gens de lettres à la protection humiliante des grands seigneurs, en leur donnant des pensions, qui les faisaient dépendre, non plus d’un particulier, mais de l’état incarné en sa personne. Sans remonter plus haut que Henri IV, nous trouvons que ce roi, de peu généreuse mémoire, pensionnait déjà des gens de lettres : exemple suivi par sa veuve devenue régente[1]. Mais ce fut Richelieu

  1. Voir Tallemant des Réaux.