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première fleur de sa jeunesse, sous la régence, elle n’était qu’une doucereuse coquette de grande espérance, fausse déjà, mais fade et maniérée. Tout effarée encore de la sévère figure de Mme de Maintenon, elle prenait la peine d’être hypocrite ; elle cachait sa corruption sous toutes les minauderies, derrière tous les éventails. Et quoiqu’il fût aisé de prévoir sa vieillesse, éhontée et sensuelle, cette littérature permettait parfois encore qu’on lui chantât des stances langoureuses comme au temps du galant d’Urfé. Elle avait aussi recueilli le mouton de Mme Deshoulières, et ce mouton avait été chamarré de tant de rubans roses, qu’il était devenu, on ne sait comment, un troupeau, et le boudoir une bergerie. C’était le vrai printemps de la poésie légère. Les musettes faisaient rage, et elles chantaient des petits vers pour Iris et pour Climène ; les Ris, les Jeux, les Grâces, déguisés en agneaux, bondissaient naïvement à travers les prairies d’un boudoir. Ce gros homme qui sortait en voiture du Palais-Royal, ce n’était pas le régent allant souper chez Mme de Parabère, c’était le berger Tircis qui allait chanter à Eglé sa flamme respectueuse. Heureux temps ! les nymphes champêtres se promenaient au Cours-la-Reine, les filles de l’Opéra portaient la houlette, et elles étaient, dans les petits soupers, vêtues de léger comme il convient à des divinités pastorales. Il fallait se pâmer devant Vert-Vert, et M. de Sainte-Aulaire avait fait un madrigal, le plus illustre des madrigaux, et qui était sans conteste le chef-d’œuvre de la littérature française : Mme de Créquy n’en revenait pas encore d’admiration en 1801, et l’Académie avait ouvert ses portes à un homme d’un tel génie ; La Fare, Chaulieu, Rochemore, quoique fort admirés par Mme du Maine, qui faisait à Sceaux une cour assidue, à la poésie légère, ne pouvaient pourtant pas ambitionner la globe d’un pareil madrigal ; ils se contentaient d’éblouir la cour et la ville par ces triolets enchanteurs, ces madrigaux en guirlande et ces bouquets montés où surtout M. de Bernis excellait.

Mais la poésie légère se fatigua de ces fadeurs ; elle allait devenir grande coquette et faire état de haute corruption. C’est la loi de la volupté de tourner à la routine et de finir par être en même temps, chose étrange, un entraînement et un ennui. Elle a besoin pour se réveiller et s’exciter d’abord du demi-jour de l’hypocrisie, et ensuite du scandale : c’est alors une corruption de haut goût, et l’infamie à huis clos n’est plus qu’une pauvre infamie. Les nouvelles à la main et les chansons chassèrent le timide madrigal ; l’amour et la littérature prirent le porte-voix, et le boudoir fut remplacé par les bureaux d’esprit. C’est de là que sortit une littérature que la femme protégea jusqu’à la fin du siècle. C’était une vraie fièvre que cette manie de protéger les auteurs ; on se donnait ainsi un brevet d’influence, d’intelligence et d’autorité, et cela faisait autour de la vanité des femmes ce bruit qu’elles aiment. Il n’est rien au reste qu’elles ambitionnent comme de patroner une idée et de protéger l’intelligence. Entre leurs mains, l’idée devient bientôt coterie, et l’intelligence esprit ; mais elles ont eu ce bonheur suprême de s’agiter pour un but qu’elles croyaient absolument sérieux, de conduire une grave entreprise et de diriger les facultés qu’elles respectent le plus, ne les ayant pas, — les facultés graves, profondes et sensées de l’intelligence virile. La littérature du XVIIIe siècle ne demandait pas mieux, du reste, que d’entrer dans ces serres-chaudes : produisant vite et beaucoup, et des choses légères, c’est là surtout qu’elle devait