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ses étrangetés même parfois. Si l’époque n’est pas toujours belle, elle est du moins pleine de vie et de mouvement. Seulement, pourquoi M. Janin donne-t-il à son livre le titre d’Histoire de la Littérature dramatique ! C’est bien plutôt l’histoire de son esprit, vif s’il en fut, brillant, amoureux de l’imprévu, éloquent à ses heures, éloquent parfois à propos de rien et souvent aussi par un juste sentiment des choses. M. Jules Janin a eu d’heureux momens dans sa vie, et, par une coïncidence singulière, c’est surtout au lendemain des révolutions. Ses feuilletons sont alors des polémiques. Après 1830, il poursuit de sa verve tous ces excès de la littérature, toutes ces profanations qui surgissent, cet esprit de vertige qui saccage les églises, brûle les bibliothèques parce qu’elles appartiennent à un archevêque, et traîne les prêtres sur la scène en leur imprimant le sceau du crime et du vice. Après 1848, cette verve, il la retrouve encore toute jeune, toute prête pour défendre l’art, l’esprit, l’éloquence, qui subissent l’injure du socialisme, et pour accompagner aussi d’un mot de respect les royautés fugitives, les malheurs innocens, tout cela à propos de théâtre, a propos de l’œuvre de la veille ou du lendemain. Prenez garde cependant, c’est une nature pleine de caprices et de contrastes. Lisez ces pages où il poursuit la littérature de 1830 ; un instant après, vous le retrouverez défendant cette littérature. Remarquez cet esprit si naturellement clair et facile ; voici que tout à coup il va s’éprendre de quelque œuvre de philosophie progressive et amphigourique, au point de lui dresser des apothéoses dans le même langage dont il parlerait d’un vaudeville nouveau. Pourquoi M. Janin n’est-il pas toujours dans cette voie droite et sûre où il pourrait exercer une si vive influence ? Comme il serait facilement le roi des beaux-esprits de ce temps, s’il citait seulement un peu moins Sénèque, saint Augustin ou Bossuet à propos d’un vaudeville, s’il ne prodiguait pas l’enthousiasme là où il n’y a lieu qu’à une juste et raisonnable estime, et s’il ne tenait pas absolument à avoir l’air de comprendre les philosophies humanitaires, ne fût-ce que par accident ! Ce livre de M. Janin, où se reproduit toute une époque, ne laisse point que d’éveiller parfois quelque tristesse. Que de choses s’y retrouvent, ambitieuses ou frivoles, qui n’ont plus rien de vivant ! Bien des ouvrages n’ont plus même une place, dans la mémoire publique. De ces poètes et de ces auteurs, beaucoup ont disparu de la scène et même du monde. L’époque elle-même s’est évanouie, les gouvernemens s’en sont allés, les régimes se sont succédé ; mais au bout de toutes les déceptions, après les constitutions et les gouvernemens, ce qui survit toujours, c’est cette chose à laquelle croit M. Janin, l’esprit, l’imagination, l’intelligence.

Le propre d’une histoire dramatique ce genre, reflet quotidien de toutes les impressions et tous les faits littéraires, c’est de recommencer sans cesse. On s’est arrêté à un point, et voici un nouveau chapitre à écrire. La toile n’est point tombée sur la comédie de la veille, qu’elle se relève sur la comédie du lendemain. C’est une coïncidence remarquable qui a rassemblé sous nos yeux, dans un court espace, plusieurs œuvres dramatiques bien différentes sans doute, mais où se fait sentir du moins une réelle inspiration littéraire. C’est d’abord Lady Tartufe, œuvre d’un esprit élégant qui a fait une gageure avec l’impossible, qui ne l’a point gagnée très certainement au point de vue, de l’art, mais qui la gagne chaque soir encore devant le public. Puis est venu