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elle reprit ses quatre roues, et au point du jour nous roulions sur une de ces routes stratégiques qui ont ouvert le cœur de la vieille Vendée. Comme tant de choses vraiment utiles, notre petit chemin avait quelque chose de modeste. Nulle part il ne cherchait à braver ou à franchir les obstacles Se prêtant à tous les accidens du terrain, il serpentait tantôt au fond d’un vallon ombragé, tantôt sur les flancs d’une colline empourprée de bruyères en fleur. Un vrai soleil d’août pointait à l’horizon, brisait ses rayons dans le feuillage des châtaigniers, dorait les masses de granite témoins du premier cataclysme qui ait rompu l’écorce du globe, et réveillait insectes et oiseaux, qui le saluaient à l’envi. À travers le bruissement des roues et le tintement des grelots de notre équipage, on sentait le calme de la solitude, comme à Paris l’on devine le fracas de la grande ville à travers le silence d’un appartement, et ce soleil, ces chants, ce calme, pénétraient tous mes sens d’un sentiment de bien-être et de paix intime qui gagna jusqu’à mes compagnons de voyage, les plus lourds, les plus maussades que j’aie encore rencontrés.

Le soir même j’étais à La Rochelle, et dès le lendemain je me présentais chez M. d’Orbigny père, un de nos vétérans de la zoologie marine[1]. Comme tous les hommes qui ont beaucoup travaillé, M. d’Orbigny accueille de grand cœur quiconque suit ses traces. Sur mon titre de naturaliste, je fus reçu en vieil ami. Bientôt je fus en relations avec quelques hommes dévoués aux sciences naturelles ; je visitai le musée, où se réunissent, grâce à leurs efforts, les productions diverses que le département de la Charente-Inférieure emprunte aux trois règnes de la nature, collection du plus grand intérêt où l’on embrasse d’un coup d’œil la faune locale tout entière, et, guidé par ces indications, je voulus me mettre tout de suite au travail. .Malheureusement j’étais arrivé en pleine morte-eau ; la mer découvrait à peine les zones supérieures du rivage, et cette circonstance, jointe à la pauvreté des côtes, me réduisit d’abord à l’inaction. Pour combler ces loisirs forcés, je me rejetai sur l’histoire et me mis à étudier sur place le passé de cette ville, à qui il n’a manqué peut-être, pour jouer le rôle d’une des grandes républiques italiennes, que de ne pas se trouver écrasée entre la franco et l’Angleterre.

  1. M. d’Orbigny, médecin d’abord à Enandes, puis à La Rochelle, s’est occupé d’histoire naturelle avec un zèle et une persévérance bien rares. Non content de ramasser et de décrire lui-même un grand nombre d’animaux marins, il fut un des correspondans les plus actifs de Cuvier, et c’est à lui que la ville de La Rochelle doit en grande partie la fondation de son musée départemental. Les quatre fils de M. d’Orbigny se sont occupés, à des degrés divers, de la science si chère à leur père. Deux d’entre eux n’ont pas voulu avoir d’autre carrière, et personne n’ignore que M. Alcide d’Orbigny a conquis une réputation justement méritée par un beau voyage dans l’Amérique méridionale et par ses importans travaux de paléontologie.