Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génie malfaisant dans les décrets des évêques. Depuis lors, on la représente d’ordinaire à cheval, elle qui autrefois, gracieusement chaussée et légère comme la biche qu’elle poursuivait, parcourait à pied les forêts de l’ancienne Grèce. Pendant quinze cents ans on fait prendre successivement à cette divinité les figures les plus diverses, et en même temps son caractère subit le changement le plus complet. — Ici se présente à mon esprit une observation dont le développement offrirait une matière suffisante pour les plus intéressantes recherches. Toutefois je me bornerai à l’indiquer et à ouvrir la voie à des érudits sans travail, ouvriers de la pensée en grève. Je me contenterai de faire remarquer en peu de mots que, lors de la victoire définitive du christianisme, c’est-à-dire au IIIe et au IVe siècle, les anciens dieux païens se virent aux prises avec les embarras et les nécessités qu’ils avaient déjà éprouvés dans les temps primitifs, c’est-à- dire à cette époque révolutionnaire ou les Titans, forçant les portes du Tartare, entassèrent Pélion sur Ossa et escaladèrent l’Olympe. Ils furent contraints de fuir ignominieusement, ces pauvres dieux et déesses, avec toute leur cour, et ils vinrent se cacher parmi nous sur la terre, sous toutes sortes de déguisemens. La plupart d’entre eux se réfugièrent en Égypte, où, pour plus de sûreté, ils revêtirent la forme d’animaux, comme Hérodote nous l’apprend. C’est tout à fait de la même manière que les divinités du paganisme durent prendre la fuite et chercher leur salut sous des travestissemens de toute espèce et dans les cachettes les plus obscures, lorsque le vrai Dieu parut avec la croix, et que les iconoclastes fanatiques, la bande noire des moines, brisèrent les temples et lancèrent l’anathème contre les dieux proscrits. Un grand nombre de ces émigrés olympiens, qui n’avaient plus ni asile ni ambroisie, durent avoir recours à un honnête métier terrestre pour gagner au moins de quoi vivre. Quelques-uns d’entre eux, dont on avait confisqué les biens et les bois sacrés, furent même forcés de travailler comme simples journaliers chez nous, en Allemagne, et de boire de la bière au lieu de nectar. Dans cette extrémité, Apollon parait s’être résigné à entrer au service d’éleveurs de bestiaux ; de même qu’autrefois il avait gardé les vaches du roi Admète, il vécut comme berger dans la Basse-Autriche, mais ses chants harmonieux éveillèrent les soupçons d’un moine savant, qui reconnut en lui un ancien dieu païen et le livra aux tribunaux ecclésiastiques. Soumis à la torture, il avoua qu’il était le dieu Apollon. Il demanda la permission de jouer de la lyre et de chanter une dernière fois avant d’être conduit au supplice. Or il joua d’une manière si attendrissante, il y avait dans son chant un charme si puissant, et de plus, il était si beau de taille et de visage, que toutes les femmes pleurèrent, il y en eut même qui tombèrent malades à la