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se recommandent par la grandeur de l’expression, la fermeté des contours et du modelé, et par la vigueur de l’aspect : on ne saurait y surprendre une préoccupation très vive des finesses du coloris et des détails subtils de la réalité. Il arrive même parfois qu’à force d’éliminations pour anoblir l’ensemble de son travail, M. Desnoyers ne laisse aux divers morceaux qui le composent qu’un degré de vérité insuffisant : témoin sa planche de la Transfiguration, œuvre fort belle si l’on n’en considère que l’effet général, mais dont l’exécution paraît un peu vide et incomplète lorsqu’on examine isolément chacun des objets représentés. Ailleurs, et surtout dans ses Saintes Familles d’après Raphaël, M. Desnoyers a su allier ce sentiment grandiose de l’ensemble à l’étude soigneuse des beautés partielles ; il faut reconnaître cependant que l’analyse minutieuse des détails est contraire aux habitudes de son talent, et que ses ouvrages ont en général plus de majesté que de délicatesse.

Les ouvrages de M. Henriquel-Dupont ne témoignent ni d’un goût aussi exclusif pour la sévérité du style, ni de ces sacrifices systématiques à la force et à la grandeur. Suavité du coloris, élégance du faire et du dessin, tout ce qui peut séduire, le regard est accepté par le graveur, aussi bien que ce qui doit intéresser l’esprit ; il ne dédaigne rien, depuis l’expression d’un visage jusqu’au ton de la moindre draperie ; il ne s’abstient d’aucune ressource d’effet, qu’elle soit accessoire ou principale, et, sans accorder une égale importance aux diverses conditions de son art, il les aborde toutes avec la même pensée d’éclectisme et la même souplesse d’intelligence. Sa manière, moins magistrale que celle de M. Desnoyers, a plus de finesse et de charme, et s’il est permis de supposer qu’en face des tableaux de Raphaël M. Henriquel-Dupont se fut trouvé un peu mal aguerri, à coup sûr il lui appartenait de se mesurer sans crainte avec les peintres les plus éminens de l’école moderne. À ne juger ici que l’ensemble des œuvres du graveur de Lord Strafford, on peut dire que ce qui les distingue surtout, c’est une certaine grâce réservée, une science prudente, quelque chose d’ingénieux et de raisonné qui n’impose pas fortement, mais qui persuade, en un mot ce goût pour l’exactitude et la correction qui est le fonds même de l’art français et qui constitue son originalité propre.

Les graveurs en taille-douce que l’on pourrait citer à la suite de, MM. Desnoyers et Henriquel-Dupont s’inspirent pour la plupart des exemples de ces artistes habiles, mais le second semble exercer sur eux une influence principale. Si M. Calamatta s’est conformé le plus souvent dans ses travaux à des doctrines analogues aux doctrines de M. Desnoyers, si M. Forster, tout en faisant une part beaucoup trop large aux séductions de la manœuvre, a cherché quelquefois la noblesse du dessin et la grandeur du style, les graveurs dont les débuts ne remontent qu’à une époque encore peu éloignée ont adopté presque tous la méthode moins austère de M. Henriquel-Dupont. Plusieurs d’entre eux, formés à l’école même du maître, ne font que mettre on pratique les leçons qu’ils ont directement reçues : MM. Jules et Alphonse François, M. Aristide Louis, sont les plus distingués de ces élèves et se montrent capables d’enseigner à leur tour l’art qu’on leur enseignait naguère. D’autres jeunes graveurs, sans être partis du même point, suivent néanmoins une voie à peu près semblable et se soumettent à la même autorité. Parmi les