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modernes dans un rôle purement passif ne devait conserver à nos yeux son importance et sa noblesse qu’autant qu’elle nous serait rendue avec la force de la vérité et l’autorité de la verve. M. Delaroche, le sujet une fois donné, n’était pas homme à se méprendre sur les conditions que ce sujet comportait, et il a cherché à les mettre en relief avec une vigueur de pinceau et une hardiesse inaccoutumées.

La vigueur de l’exécution est aussi ce qui donne une incontestable valeur au travail de M. François, et peut-être l’estampe du Napoléon au Saint-Bernard est-elle, de toutes les planches d’histoire publiées depuis quelques années, celle qui honore le plus notre école de gravure. À voir ces contours et ce modelé accusés avec tant de décision et de savoir, ces tailles largement établies au burin, sans tâtonnemens apparens, sans préparation à l’eau forte, en un mot ce faire robuste qui détermine avec une aisance égale le dessin et l’effet, on dirait que la belle manière des graveurs français du XVIIe siècle a trouvé un continuateur parmi nous, et que cet élève des maîtres de l’art peut devenir un jour leur rival. Que manque-t-il encore à son talent ? Un peu plus de modération, nous l’avons dit, dans cet amour excessif pour la fermeté de la forme, un peu plus de souplesse dans la manœuvre et surtout un sentiment plus délicat du coloris. Plusieurs parties de la planche gravée par M. François, et principalement la tête du Napoléon, laissent sous ce rapport quelque chose à désirer. Le ton général même n’est pas exempt d’une certaine uniformité, et, chose étrange, le burin de l’artiste, si résolu lorsqu’il trace un contour ou qu’il dispose des masses d’ombre et de lumière, semble hésiter souvent en face des difficultés de la couleur, et les tourner en quelque sorte, au lieu de les aborder franchement. Ces imperfections de détail, qui ne permettent pas de ranger l’estampe du Napoléon dans la classe des œuvres excellentes, ne sauraient toutefois l’exclure de la classe des œuvres vraiment fortes. Il est juste de voir avant tout dans cette planche incomplète à certains égards la promesse d’un grand talent, mais il est juste aussi d’y reconnaître l’empreinte d’une volonté déjà puissante et d’une habileté presque magistrale.

Parmi les estampes en taille-douce récemment publiées, il faut citer encore une jolie planche de M. Aristide Louis, l’Innocence, d’après Greuze, et un poitrail de Michel Cervantes, gravé par M. Pascal avec un sentiment remarquable du coloris et de l’effet. L’œuvre de M. Pascal a de plus le mérite d’appartenir à un genre qui fut pendant deux siècles une des gloires de notre école de gravure, et qui semble malheureusement à peu près délaissé aujourd’hui. On sait avec quelle supériorité le portrait a été traité par les graveurs qui se sont succédé en France depuis Nanteuil et Masson jusqu’à MM. Tardieu et Desnoyers, et quels innombrables chefs-d’œuvre contient cette suite, qui commence au Président de Bellièvre et au Comte d’Harcourt, pour s’arrêter au portrait du Comte d’Arundel et au portrait du Prince de Talleyrand ; mais, à partir du temps de la restauration jusqu’à l’époque où nous sommes, ce genre, autrefois l’objet de tant de travaux, n’a plus dans notre école qu’une importance médiocre, sinon complètement annulée. Sauf quelques portraits des souverains ou des princes publiés par l’administration des musées, quelques planches gravées, comme le portrait de M. Guizot, aux frais d’un certain nombre de souscripteurs, ou en dehors des entreprises