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au plus des protestations faites pour la forme et destinées à rester sans résultat.

C’est sur un point seulement que l’Angleterre a montré, dans ses rapports avec l’Europe depuis 1815, une volonté active, entreprenante, par l’infatigable persévérance avec laquelle elle a poursuivi partout la conclusion de traités de commerce, persévérance ou ambition, comme on voudra l’appeler, poussée jusqu’au free trade, jusqu’au rappel de ses lois de navigation. Il n’est sans doute pas nécessaire de réfuter ici cette vieille calomnie qui ne voit dans les efforts faits par l’Angleterre pour entraîner tous les peuples vers la liberté du commerce que l’espérance cruelle et insensée de ruiner les autres pour s’enrichir de leur misère. Comment supposer que l’Angleterre soit encore assez peu éclairée pour ne pas savoir qu’on ne fait d’affaires avantageuses qu’avec les gens riches ? Non, l’expérience du free trade n’est pas autre chose qu’une offre d’association faite à l’univers, et dont le domicile légal sera établi en Angleterre, attendu que, par le développement des relations et des intérêts qu’elle s’est créés partout, par ses immenses et populeuses colonies, par l’innombrable multitude de ses navires, par les admirables services de communications rapides et régulières qu’elle a organisés entre toutes les parties du monde, elle offre à la communauté des avantages qu’on chercherait vainement ailleurs. Au point de vue politique, c’est un projet de société pacifique qui attire autour de la Grande-Bretagne les puissances de second ordre dont les marines se ralliaient jadis, du temps de l’ancien isolement, au pavillon de la France ; c’est une offre de services et de fusion faite surtout aux petits états, aux petits capitaux, aux industries dépourvues de débouchés et de relations ; c’est un essai d’association dans laquelle chacun, travaillant à ce qu’il produit et sait faire le mieux, vendra au meilleur prix et achètera au meilleur marché, mais vendra et achètera par les mains de l’Angleterre, devenue l’intermédiaire forcé entre tous les associés, le grand entrepôt du monde, le marché régulateur de toutes les denrées utiles ou nécessaires à l’existence de l’homme, le distributeur de la richesse entre tous les peuples unis à sa fortune par le lien le plus puissant, par le lien des intérêts.

Le free trade est en Europe une espérance de paix. Hors de l’Europe, il se présente sous l’aspect d’une gigantesque société en commandite fondée sous le patronage de l’Angleterre et administrée par elle pour la mise en valeur et l’exploitation de ce monde où plongent les racines de sa puissance, et où elle a entrepris de régner seule. Autant en effet sa politique a été modérée et conciliante souvent dans les questions purement européennes, autant elle est ailleurs jalouse, envahissante par la force des choses, violente quand le moindre fait