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paraissent pas être très sanglantes, il est vrai, mais qui tiennent le pays dans un état d’anarchie déplorable.

De ces cinq états, le plus important aux yeux de l’étranger, c’est celui de Nicaragua, car c’est à lui qu’appartient le territoire sur lequel on croit possible, — nous disons on croit parce que le fait n’est pas encore démontré par des études définitives, — de construire un canal maritime qui fera dévier au profit de tous les peuples, mais surtout des États-Unis, une des routes les plus fréquentées par le commerce et par la navigation. En France, nous nous en inquiétons, je le sais, très peu ; nous regardons tout cela avec une merveilleuse apathie, comme des chimères, comme des événemens, sinon impossibles, au moins si lointains, que nous prenons notre temps pour voir venir et pour savoir ce que nous devrons un jour en penser. Le désintéressement auquel nous sommes si malheureusement arrivés de tout ce qui ne nous touche pas immédiatement nous a laissés presque étrangers à la lutte qui se poursuit entre les deux puissances rivales depuis quelques années déjà dans l’Amérique centrale : c’est très fâcheux pour notre considération dans le monde, et de plus cette ignorance de notre part, cette indifférence ne saurait faire qu’il ne se passe pas dans ces régions des événemens importans, qui exerceront un jour une influence considérable sur la politique et sur le commerce général des peuples.

Ce n’est pas ainsi que se conduit l’Angleterre, elle ouvre les yeux de ce côté avec une vigilance que l’on peut dire excessive, car elle lui a inspiré la conduite la plus regrettable, et cela depuis nombre d’années, sans que nous ayons pris la peine même de savoir ce qui se passait dans ces parages. L’histoire de ce qui s’est passé récemment dans l’Amérique centrale, et particulièrement dans l’état de Nicaragua, serait cependant des plus intéressantes ; car l’Angleterre, depuis cinq ans surtout, s’y est montrée violente et agressive, plus peut-être que nulle autre part, et cela dans la seule préoccupation de prendre ses sûretés contre les États-Unis. C’est elle qui, sans provocation aucune, mais uniquement parce qu’elle craignait les conséquences des succès que les Américains venaient d’obtenir au Mexique, parce qu’elle voyait agiter de nouveau le projet d’une voie de communication navigable entre les deux mers, s’est jetée en 1848 sur le territoire d’un pays ami, s’est emparée, par la force et en versant le sang humain, du port de Saint-Jean sur l’Atlantique et de l’Ile du Tigre dans l’Océan Pacifique, aux deux issues de ce canal maritime qui n’est encore qu’en projet, mais qui lui inspirait de vives inquiétudes. Sa jalousie contre les États-Unis peut seule expliquer la brutalité de ses actes à l’égard de l’état inoffensif de Nicaragua, et quant aux droits qu’elle voulait faire valoir au nom et comme protectrice