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des Tchétchens. C’était une palissade faite avec des branches entrelacées et garnies de terre. Elle est établie en travers de la route, sur une petite élévation qui domine le côté par lequel nous arrivions, et elle est percée d’une porte à claire-voie à l’endroit où la route y aboutit en droite ligne. On appelle ce lieu la Porte de Goëtimir. En dedans de cette palissade, et tout près de l’entrée, est un tombeau à côté duquel s’élève une longue bigue ornée, vers son extrémité, d’un simulacre de drapeau suspendu à une hampe courte et fixée horizontalement dans la bigue. C’est le lieu de repos éternel d’un chef, peut-être de celui dont le nom est resté à ce passage. — « Ici, me dit le colonel Lévitzki avec son calme habituel, nous aurons des coups de fusil au retour, et peut-être plus que nous n’en voudrions. — Vous croyez ? lui répondis-je ; eh bien ! j’en prends note, et nous verrons si vous êtes un bon prophète. »

Nous avions a peine franchi cette porte, qui du reste n’était pas fermée, que j’aperçus à quelques pas de moi, sur la gauche, les restes d’un feu qui brillait encore. Le colonel Lévitzki, à qui je fis part de ma découverte, ordonna immédiatement a ses soldats d’entourer ce feu, mais on n’y trouva personne, Un officier rapporta seulement une paire de souliers circassiens et des baguettes qui servent à appuyer le fusil. Il était visible que ce feu avait été naguère entretenu. Les Cosaques du Don étaient probablement passés trop rapidement pour l’apercevoir. Nous entrions alors dans un bois de chênes blancs, et cette troupe de cavaliers n’était pas loin de nous. Tout à coup il se fit dans les rangs un mouvement d’alerte. Il faut peu de chose en pareille circonstance pour émouvoir les hommes. Prenant leurs lances en main, les soldats s’enfoncèrent en avant, dans l’épaisseur de la forêt. Nous ne sûmes pas ce qui avait causé cette sensation ; peut-être (on pouvait le supposer ainsi) était-ce le bruit que fit en fuyant quelque homme qui était posté là en vedette.

« Si, au lieu des Cosaques du Don, nous avions eu quelques-uns de mes vieux Cosaques de la ligne, me dit mon ami le colonel, cet homme ne se serait aperçu de notre présence que lorsqu’il n’aurait plus été en état de faire un mouvement ni de pousser un seul cri. » Je crus sans peine le colonel Lévitzki, car je savais tout ce qu’il avait fait d’extraordinaire quand il commandait le régiment des Cosaques de Mosdok[1].

Au milieu de la forêt, nous fûmes arrêtés par une bifurcation de la route. Les Cosaques étaient hors de vue ; il fallut, à la faveur des rayons de la lune que filtraient les grandes masses de feuillage qui nous entouraient, chercher sur la terre la trace des pieds des chevaux.

  1. C’est le nom d’un des régimens des Cosaques de la ligne.