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dans des mœurs fortes, et qu’il règne, par-dessus tout, chez les individus ce commandement sur soi-même qui supplée à l’action de la loi, qui fait que l’action du pouvoir reste inutile. Nous n’avons qu’à nous examiner sur tous ces points. Ce que nous voulons dire, ce n’est point assurément que la liberté politique soit incompatible avec l’ensemble social et civil créé par le mouvement de la fin du dernier siècle. Ce qui est vrai, c’est qu’avec le caractère que la révolution française a pris, avec les conséquences qu’on en a tirées, dans une société nivelée et démocratiquement organisée, la liberté est encore plus difficile, plus laborieuse, plus sujette aux déceptions, parce qu’un seul jour laissé à l’esprit révolutionnaire peut rendre inutile l’œuvre de trente années. L’auteur de la brochure que nous citions semble supposer que les gouvernemens précédens ont été impuissans par leur principe même ou par leur situation. Ils n’ont été, à vrai dire, impuissans ni par principe ni par situation ; ils l’ont été parce qu’ils ont voulu, tant qu’ils ont pu, vivre avec la liberté dont tout le monde se servait contre eux et chose singulière, quant au dernier du moins, tout le monde a violé la loi contre lui, lui seul ne l’a point violée - Preuve nouvelle de son impuissance ! dira-t-on. — Il est facile aujourd’hui d’en parler ainsi, les circonstances ont changé, et les 24 février deviennent difficiles heureusement ; mais n’est-ce point un peu parce qu’il y en a eu un en 1848 ?

Ce sont là des considérations que le cours des choses contemporaines ramène parfois naturellement, soit qu’on mette en présence des sociétés différentes, soit qu’on s’arrête à chercher le secret des mouvemens politiques de notre pays. Elles dominent les faits et les incidens, et se lient à une situation générale. Ce qui est plus particulièrement propre au moment actuel, c’est tout ce qui touche à ces complications religieuses que nous suivions récemment du regard. Il semble aujourd’hui que, sous leurs diverses formes, elles tendent à se débarrasser de ce qu’elles avaient de plus grave et de plus vif. En quelques jours, elles ont fait un grand pas par la publication presque simultanée d’une note du gouvernement et d’une encyclique du pape, qui touchent aux principaux élémens de cette agitation. On sait comment s’est élevée récemment une discussion sur l’opportunité d’une réforme dans la législation qui règle le mariage. La brochure de M. Sauzet a eu pour résultat de réveiller un moment la polémique mourante. Qu’il y ait des opinions tranchées sur un point de cette nature, qui touche à l’essence même de la société moderne, ce n’est pas là ce qui doit surprendre. Ce qu’il y avait de plus sérieux peut-être, c’était l’incertitude qui semblait régner sur la pensée du gouvernement. Cette pensée s’est dévoilée dans la note dont nous parlons, et qui écarte toute idée de réforme dans la législation française actuelle. Ceux qui attachent le plus de prix à la juste influence de l’autorité religieuse peuvent-ils s’en plaindre ? Peut-être, au contraire, une difficulté des plus épineuses est-elle épargnée à l’église ; peut-être, et probablement même, ce qu’elle eût gagné en pouvoir officiel n’eût point compensé ce qu’elle eût perdu en liberté et ce qu’une recrudescence possible d’hostilité révolutionnaire aurait pu finir par lui enlever en influence morale. Qu’une disposition législative fut venue l’investir du droit exclusif de valider un acte civil, aussitôt renaissaient les germes des plus périlleux conflits. Libre, elle peut agir par l’autorité de ses enseignemens, et,