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toute négative, saturée de scepticisme et déshabituée du respect, l’opinion libérale, lors de son avènement aux affaires, ne tenta sur elle-même aucun effort pour dompter les passions dont elle s’était nourrie. Elle ne vit pas que le gouvernement des classes moyennes avait des exigences spéciales et des conditions propres auxquelles il importait d’accommoder les institutions constitutionnelles, et qu’il fallait sortir du cercle des idées antérieures sous peine de n’y rencontrer que déception et impuissance. On avait devant soi une carrière toute nouvelle, et on ne sut aborder le pouvoir qu’avec les inspirations puisées dans les journaux durant quinze années : stérilité déplorable qui contrastait avec tant de hautes questions que la législature avait reçu mission de résoudre.


I

Le gouvernement de 1830 devait, en effet, poursuivre simultanément une double tâche : pendant qu’il luttait contre des ennemis aspirant à l’étouffer dans son berceau, il fallait qu’il préparât les lois fondamentales promises par la charte nouvelle. Organisation de la justice par le jury, de la force armée par la garde nationale, des communes, des départemens, de la chambre élective et de la chambre des pairs, liberté de L’enseignement, réforme du système de l’instruction publique, rapports nouveaux de l’église et de l’état, telles étaient les matières que la monarchie de la branche cadette était appelée à régler dans le sens de son principe et sous l’influence prépondérante de l’intérêt qui l’avait élevée.

La restauration avait déjà, par sa législation électorale de 1817 et surtout par la loi de 1827 sur le jury, appliqué la doctrine qui allait dominer, durant dix-huit ans, tout l’ordre politique. D’après cette doctrine, dans laquelle viennent se résumer les idées de 89 en ce qu’elles ont de gouvernemental et de pratique, les droits constitutionnels sont délégués par la société dans son propre intérêt. Celle-ci peut et doit dès lors attacher à l’exercice de ces droits les conditions d’aptitude ou de fortune propres à prévenir l’abus qui en serait fait contre elle. Le premier devoir du législateur est donc de mesurer les droits électoraux attribués aux citoyens sur le degré de lumière et d’indépendance que leur situation personnelle présuppose. Asseoir le pouvoir sur l’intelligence, distinguer les droits politiques des droits civils, et, en admettant tous les Français à la pleine jouissance de ceux-ci, n’étendre ceux-là qui, selon le discernement avec lequel on est présumé capable de les exercer, telle fut la doctrine professée, même par le ministère de M. de Villèle, et dont la monarchie de 1830 devait naturellement faire de plus larges applications.