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de son principe a des périls immenses ; il a accompli avec la liberté politique et par cette liberté même l’œuvre de la pacification européenne et du rétablissement de l’ordre matériel à L’intérieur. S’il a succombé tout à coup dans une syncope, ce n’est qu’après avoir triomphé des plus formidables assauts. Ce qui lui a manqué, c’est cette sagacité pratique qui modifie les institutions selon les temps, se sert des lois pour corriger les mœurs, et ne demande à celles-là que ce qu’elles sont capables de supporter. La monarchie constitutionnelle est tombée, parce qu’après avoir fait de grands efforts pour s’établir, elle n’en a pas tenté d’assez sérieux pour durer ; elle est tombée, parce qu’une habile administration et un système de travaux publics, quelque vaste et quelque fécond qu’il ait été, ne suffisaient pas pour paralyser les germes mortels introduits au cœur de la société et ménagés par la classe gouvernante avec une complaisance aveugle. Dans la seconde période de la monarchie de juillet, lorsque la tranquillité publique n’était plus troublée que par les agitations du Palais-Bourbon, pendant que les nuances qui séparaient le cabinet du 22 février de celui du 6 septembre, le cabinet du 15 avril de celui du 12 mai, le cabinet du 29 octobre de ceux qui l’avaient précédé, étaient l’unique affaire du monde politique, la perversion des intelligences se développait sans effort et sans bruit, sous l’ardent éclat de la prospérité publique, comme par l’effet d’une germination naturelle. Tandis que les hommes politiques poursuivaient leur fortune avec l’âpreté de joueurs implacables, les conspirations contre l’ordre social succédaient aux conspirations contre la monarchie, et le parti que les intérêts avaient armé jusqu’aux dents contre les unes demeurait en face des autres dans un état d’indifférence et presque de complicité.

Devant la conquête de ce bien-être, devenu le seul souci des esprits, que les uns le poursuivissent dans la politique et les autres dans l’industrie, par les intrigues de portefeuilles ou par les intrigues de chemins de fer, les masses commençaient à poser le redoutable problème de leur misère et de leurs souffrances. Pas assez dégradées par le malheur pour ne pas tenter de s’en affranchir du moins par la pensée, pas assez éclairées par la foi pour l’accepter à titre d’épreuve passagère et bénie, elles agitaient la grande énigme dont l’Homme-Dieu a porté le secret à la terre : — Pourquoi souffrons-nous sans relâche, tandis que la vie est pour d’autres une source intarissable de jouissances ? Pourquoi une part si cruellement inégale nous est-elle faite sur cette terre, où nous naissons avec des besoins égaux ? pourquoi ne pouvons-nous y trouver au moins le nécessaire pendant que d’autres y possèdent le superflu ?

Tel était l’enseignement qu’apportait le spectacle de la prospérité