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parts. L’une pour penser à Dieu, l’autre pour s’entretenir avec ses amis et faire en silence beaucoup de bien aux hommes. Oui, c’est la beauté exquise de cette âme qui a séduit M. de Rémusat, ou du moins qui l’a soutenu dans les recherches souvent arides où l’engageait nécessairement son sujet ; c’est elle aussi qui fait l’intérêt universel de son livre, et lui donne un cachet de nouveauté et d’originalité incontestables[1].

Essayons, en suivant les traces de M. de Rémusat, de donner quelque idée de ce personnage aux aspects divers et harmonieux, dont il résume ainsi tous les titres à l’attention de la postérité : moine, prieur, abbé du Bec, archevêque de Cantorbéry, primat d’Angleterre, un des saints du calendrier, un des maîtres de Descartes.


I

Saint Anselme était Lombard d’origine, comme Lanfranc, son prédécesseur au siège de Cantorbéry. Il naquit à Aoste, vers 1033 ou 1034. Son père Gondulfe était un homme de plaisir ; ce fut Ermemberge, sa mère, qui dirigea sans partage toute son éducation. Née dans un rang élevé, Ermemberge avait des mœurs simples et une piété à la fois douce et ardente dont elle déposa le germe dans l’âme de son fils. Celui qui devait être un théologien sublime, ayant entendu dire à sa mère que Dieu était là haut dans le ciel, s’était imaginé que le ciel s’appuyait sur les sommets des montagnes qui bornaient son horizon depuis son enfance, et qu’ainsi en les gravissant on pourrait monter jusqu’à la cour du roi des mondes. Sa jeune imagination, pleine de ces impressions naïves, le conduisit une fois en rêve à la table même de Dieu, et il racontait avec simplicité aux compagnons de ses jeux qu’il avait mangé le pain des anges. À peine âgé de quinze ans. Anselme va trouver un abbé de la connaissance de sa famille et lui demande la permission de se faire moine. Sur un premier refus, il tombe malade, insiste encore après sa guérison,

  1. On a beaucoup travaillé sur saint Anselme en France, en Angleterre et en Allemagne depuis ces dernières années. Nous avons deux monographies allemandes, l’une par M. Franck (Tübingen, 1842) et l’autre par M. Hasse (Leipzig, 1843). L’Angleterre nous fournit un article de M. Scratchey (dans the Biographical Dictionary, Londres, 1843) et un mémoire de M. Th. Wright [Biogr, hist. liter., Londres, 1846). En France, outre l’histoire générale de M. Cousin {Cours de 1829, leçon VIIe), je citerai un bon chapitre de M. Hauréau {Histoire de la Scolastique, t. Ier, ch. VIII) et une esquisse vive et forte de M. Ampère dans son Histoire littéraire de la France, t. III, ch. XVIII. Les écrivains catholiques se sont attachés à la vie de saint Anselme comme adversaire du pouvoir civil, notamment Mœhler et M. de Montalembert dans son écrit intitulé : Saint Anselme, fragment d’une histoire de saint Bernard, Paris, 1844. M. Bouchitté a traduit pour la première fois les principaux ouvrages de saint Anselme sous ce titre : le nationalisme chrétien au onzième siècle, Paris, 1842.