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abandonnera cette vie. Et en effet, dès qu’ils eurent quitté leur lit, on le déposa sur la terre, et, tous s’étant rangés autour de lui, il expira. Telle fut bientôt l’opinion des moines sur leur prieur, que ce Riculfe, qui lui servait de secrétaire, racontait qu’une nuit qu’il était chargé de réveiller les frères pour les offices, étant venu à passer devant la porte de la salle du chapitre, il avait vu Anselme debout, en oraison, entouré d’une sphère de flamme brillante ; frappé d’étonnement, et pour éclaircir ses doutes, il s’était empressé de monter au dortoir et de courir au lit du prieur ; mais ce lit était vide. Revenu dans la salle, il avait retrouvé Anselme, mais non plus le globe de feu. »

On pense bien que les miracles ne tiennent pas une petite place dans la vie d’Anselme. C’était là un point difficile à toucher pour une plume moins délicate que celle de M. de Rémusat. Entre la crédulité factice d’un historien dévot, racontant d’un air béat toutes les puérilités de la légende, et la raideur d’un rationaliste étroit qui ferme son âme au souffle vivant des traditions et au sentiment pieux des choses humaines, la route moyenne est quelquefois douteuse. Nous n’étonnerons personne en disant que M. de Rémusat l’a constamment suivie sans effort, avec l’aisance d’une raison supérieure et d’un goût exquis. Il remarque fort bien qu’avec la meilleure volonté du monde d’épargner les miracles à son héros, il ne raconterait véritablement pas une histoire du XIe siècle, s’il taisait les prodiges que la vénération des fidèles attribuait à l’homme dont l’église a fait un saint. M. de Rémusat nous raconte donc, sur la foi des moines de l’abbaye du bec, que nombre de malades retrouvèrent la santé en se faisant arroser avec l’eau qu’Anselme avait bénie, et, ce qui est remarquable, c’est que Anselme, témoin de ces miracles qu’il n’opérait que contre son gré, ordonnait aux malades guéris de n’en rien dire et de tout rapporter à la miséricorde divine. En recueillant avec respect ce trait de caractère, nous ne cacherons pas plus que M. de Rémusat que nous aimons mieux voir Anselme apaiser les passions, corriger les vices, confondre l’erreur, calmer la douleur dans les âmes malades et troublées.

Rien aussi de plus vivant et de plus charmant que l’image d’Anselme sortant à regret de ses méditations chéries pour exercer son droit de juridiction sur les vassaux de l’abbaye. « Il s’asseyait, tranquille et calme, entre les plaideurs, ne répondant aux paroles insidieuses que par quelque trait de morale ou quelque pensée de l’Évangile. Parfois même il s’endormait, et l’on trouvait miraculeux qu’au réveil il éclaircît les obscurités, démêlât les plus captieux mensonges, comme s’il eût tout entendu bien éveillé. » Le miracle, dit M. de Rémusat, c’était d’unir un esprit délié à un cœur juste.

Nul abbé n’était moins propre qu’Anselme à grossir, aux dépens