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décision, cette initiative, cette vigueur impétueuse qui surmontent les obstacles et conduisent un grand dessein à son but. Il n’était fort que dans la résistance ; il y déployait, pour parler comme M. Villemain, cette inflexible douceur d’un pontife du commencement de notre siècle, qui tint en échec le maître de l’Europe. Anselme, lui aussi, finit par triompher, et il faut bien croire qu’il avait raison, puisque après la mort de Guillaume le Roux, un roi non moins jaloux de son autorité, mais plus politique et plus éclairé que son prédécesseur, donna gain de cause au primat d’Angleterre sur tous les droits revendiqués pour Cantorbéry.

Mais il y avait au fond de ce conflit une question tout autrement élevée, non plus nationale et purement anglaise, mais générale et européenne, question qui ne fut pas résolue, qui ne pouvait pas l’être d’une façon définitive et qui ne le sera jamais : c’est la question des rapports de l’église et de l’état. Elle s’engagea au XIe siècle, à l’occasion des investitures, dura cinquante-six ans, mit l’Europe en feu, fit livrer soixante batailles et coûta la vie à deux millions d’hommes. On s’étonne et on gémit quand on ne voit que ce problème, qui parait fort simple : A qui appartient-il de donner à l’évêque les signes mystiques de son autorité, la crosse et l’anneau ? Ne semble-t-il pas clair que le pouvoir spirituel a seul qualité pour conférer des titres spirituels dont tout l’effet s’accomplit dans le sanctuaire de la conscience ? Mais à ce problème le siècle de Grégoire VII en mêlait un autre : L’évêque doit-il au roi l’hommage féodal ? Ici, le nœud se complique. Si, comme magistrat spirituel, l’évêque peut n’avoir à compter qu’avec l’église, a certains égards l’évêque est aussi un magistrat civil, et au moyen âge en particulier, il était lié, comme grand propriétaire, à tout le système féodal. À ce titre, il n’était plus le représentant de l’église, il était l’homme du roi. Voilà la difficulté. Elle était grande au moyen âge, elle n’est pas petite encore aujourd’hui. On dira peut-être qu’il y a un moyen très simple de la résoudre, c’est la séparation absolue de l’église et de l’état, telle qu’elle est pratiquée depuis trois quarts de siècle aux États-Unis. Certes le régime américain a de grands avantages, pour la religion comme pour l’état, et je comprends que plus d’un esprit élevé y voie l’idéal que les peuples modernes se doivent proposer ; mais n’oublions pas que nous habitons la vieille Europe, et que nous surtout, Français, nous sommes, par nature et par tradition, le peuple de l’organisation hiérarchique et de l’unité, en religion comme en tout le reste. Or, si le problème que le moyen âge n’a pu résoudre s’est simplifié depuis trois siècles, il se pose toujours cependant entre l’état d’une part et de l’autre une église fortement organisée, qui doit sa puissance à sa discipline, à sa hiérarchie, à son antiquité, à son unité.