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se rapportent à la théologie proprement dite ou à la pure philosophie. Voulez-vous avoir des types de ces divers écrits ? Vous les trouverez dans les deux livres dont nous avons déjà parlé, le Monologium et le Proslogium. Certes, dans le Monologium, la philosophie n’est pas absente, mais la théologie domine, et si l’ouvrage commence par une démonstration toute rationnelle de l’existence de Dieu, il a pour principal objet l’explication du mystère de la Sainte-Trinité. De même, bien que le théologien se laisse voir dans quelques chapitres du Proslogium et le chrétien dans tous, le fond de l’ouvrage est une question de pure métaphysique. Même caractère dans le Dialogue sur la Vérité, simple esquisse, mais pleine de grandeur, où se fait partout sentir la main d’un maître. Nous ferons comme saint Anselme : sans séparer absolument la théologie d’avec la philosophie, nous nous garderons de les confondre.

On n’attend pas ici de nous une exposition de la théologie de saint Anselme ; mais ce qui est possible, ce qui nous semble intéressant à un très haut degré, c’est de caractériser sa méthode. Aussi bien le fond de la théologie, par sa nature, est immuable et en quelque sorte impersonnel. La méthode seule varie. C’est par elle que les théologiens peuvent se distinguer, car qui se distingue sur le dogme est hérétique. Ce qui me frappe dans la méthode théologique de saint Anselme, c’est sa hardiesse unique et sa parfaite originalité. Il n’a pu d’abord en trouver le modèle dans aucun théologien antérieur, pas même dans saint Augustin ; de plus, quelque admiration que le génie d’Anselme ait excitée parmi ses contemporains, il ne s’est rencontré personne après lui qui ait osé ou qui ait pu l’imiter.

Saint Augustin est à coup sûr un théologien philosophe. Avant de croire, il a nié, il a douté, il a réfléchi. D’abord manichéen, puis sceptique, ce fut la lecture de Platon qui l’arracha au matérialisme et au doute pour le fixer dans une philosophie sublime qu’il n’abandonna jamais, alors même que son cœur y sentit des lacunes et le jeta dans les bras de la foi. Partout dans ses plus beaux ouvrages, on sent le platonicien. Quand il expose les dogmes essentiels du christianisme, et particulièrement la sainte Trinité, il aime à faire voir que si ces mystères surpassent la raison, ils ne la contredisent pas. Il accorde même que la raison a pu pressentir, par sa seule énergie naturelle, certaines vérités révélées, et c’est ainsi qu’il trouve dans Platon la doctrine du Verbe, de cette lumière incréée, de cette raison universelle, égale et coéternelle à l’essence divine. Or, si la raison a pu avant l’Evangile soupçonner ces dogmes mystérieux, à plus forte raison peut-elle les y retrouver, et sinon les comprendre, au moins les concevoir et les éclaircir. Plein de cette confiance généreuse en la raison, saint Augustin n’hésite pas à porter la lumière de