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tels que Descartes et Leibnitz, mais à l’esprit du monde le plus armé contre les subtilités et les chimères, à Bossuet, je ne puis qu’admirer tout ce qu’il y a de superbe caché sous la modestie du bon sens. Je sais ce qui arme de défiance une foule d’esprits contre ces discussions illustres où le génie combat contre le génie ; ils craignent que le drame, à cause de sa grandeur même, ne puisse avoir de dénoûment. C’est le reproche éternel qui s’élève contre la philosophie : on l’accuse de ramener toujours les mêmes systèmes, vainqueurs d’abord et puis vaincus, dans un cercle sans fin et sans repos, et quand jamais cette objection a-t-elle été plus amèrement dirigée que de nos jours contre les serviteurs de la philosophie ? — Vous savez assez bien l’histoire, leur dit-on, vous restituez avec quelque habileté les anciens systèmes ; mais, après nous avoir fait entendre le pour et le contre, vous ne concluez pas. — Eh bien ! voici une question où la philosophie française a une opinion, et comme cette opinion est assez arrêtée pour ne point paraître équivoque, et assez appuyée de bonnes raisons pour avoir quelque chance d’être définitive, je vais essayer de l’exposer en peu de mots.

Saint Anselme a deux fois abordé le problème de l’existence de Dieu. Sa première démonstration, celle qu’on peut appeler la démonstration platonicienne, et qui remplit sous des formes diverses les quatre premiers chapitres du Monologium, consiste à partir des biens imparfaits qui se rencontrent parmi les êtres de ce changeant univers pour s’élever au souverain bien, source de tous les biens particuliers, à l’être parfait, mesure de toute existence et de toute perfection.

Cette démonstration a un caractère bien remarquable : c’est qu’elle s’appuie tout à la fois sur les données de l’expérience et sur les conceptions de la raison. Comment savons-nous que ce monde est peuplé de choses imparfaites où le bien se mêle avec le mal ? Par nos sens, par notre cœur, en un mot par l’expérience. Mais est-ce l’expérience qui nous fait concevoir le souverain bien, l’être parfait et infini ? Non ; c’est la raison. La preuve platonicienne associe ces deux puissances de l’esprit humain : l’expérience, qu’elle consulte sans s’y asservir ; la raison, qu’elle applique a des faits réels, au lieu de la laisser flotter dans le vide de l’abstraction ; du sein des choses sensibles, elle monte vers la région des choses idéales, et s’élève de l’univers à Dieu, sur la foi de ce principe, que l’imparfait a sa raison dans le parfait, et le contingent dans le nécessaire.

Tel est le caractère de la démonstration platonicienne, et c’est ce qui lui donne à nos yeux une solidité inébranlable. Pourquoi cette démonstration n’a-t-elle pas suffi à saint Anselme, et d’où lui est venue la pensée d’en chercher une autre ? Il va nous l’apprendre :