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« Après avoir écrit le Monologium, dit-il, je remarquai qu’il est formé d’une longue chaîne d’argumens étroitement liés, et je me demandai s’il ne serait pas possible de découvrir un argument unique, lequel n’eût besoin que de soi-même pour établir que Dieu existe réellement, que toutes choses tiennent de lui leur être et leur bonté, en un mot tout ce que nous croyons de la substance divine. »

Ainsi ce qui sollicite l’esprit de saint Anselme, c’est ce besoin de simplicité abstraite et de rigueur rationnelle qui constitue l’esprit géométrique. Au lieu de faits compliqués, de notions simples, définies, immuables, sur lesquelles on puisse raisonner rigoureusement, voilà bien ce qu’aiment les esprits géomètres, et voilà aussi ce que cherche Anselme, avec ce trait particulier d’unir à l’esprit de géométrie une mysticité passionnée ; il lui faut donc un argument simple, unique, purement rationnel. Comment le découvrir ? « J’avais commencé, dit-il, à chercher si l’argument pouvait être trouvé… Quand il me paraissait que j’allais le saisir, il échappait à mon esprit… De désespoir, je voulais y renoncer… mais j’essayais en vain de m’en défendre, cette pensée revenait m’obséder avec une certaine importunité. Un jour donc que je me fatiguais à la repousser, dans le conflit même de mes pensées s’offrit à moi ce dont j’avais désespéré. »

Cet argument qui ravit saint Anselme par sa simplicité consiste à déduire l’existence de Dieu de la notion abstraite du souverain bien, ou de la perfection souveraine, ou encore du meilleur. Saint Anselme s’adresse à l’insensé de l’Écriture, à celui qui a dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu, et il prétend faire sortir un aveu de croyance de cet aveu d’incrédulité. Vous niez Dieu, dit-il, donc vous avez l’idée de Dieu, c’est à savoir l’idée de ce qu’il y a de meilleur, de plus grand, de plus parfait. S’il en est ainsi, vous devez convenir que ce Dieu, que ce meilleur existe au moins en idée. Or, s’il existe en idée, il faut nécessairement qu’il existe aussi en réalité ; car autrement, l’idée de Dieu, l’idée du meilleur serait contradictoire. Elle serait, vous l’accordez, l’idée du meilleur, l’idée de ce qui se peut concevoir de plus grand, et cependant ou pourrait concevoir quelque chose de meilleur et de plus grand, c’est-à-dire un Dieu réel. La contradiction est manifeste. La seule idée de Dieu renferme donc l’existence de Dieu. Quiconque parle de Dieu confesse Dieu, et si sa bouche le nie, sa raison l’affirme.

Telles sont les deux démonstrations de saint Anselme, et il est aisé de voir qu’il existe entre elles une distinction radicale, ce qui n’a pas empêché M. de Montalembert, et il n’est pas le seul, de les confondre complètement[1]. Mais voici une des particularités les plus

  1. Saint Anselme, fragment, par M. de Montalembert, p. 11.