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encore l’horreur et l’épouvante, leur ont tout appris. À quelques pas plus loin, le corps mutilé d’Amaral leur confirme l’horrible vérité. Une voiture recueille ce tronc inanimé et le transporte à l’hôtel du gouvernement ; mais la nouvelle de l’assassinat du gouverneur s’est déjà répandue dans la ville avec la rapidité de la foudre. Les soldats assiègent la porte du palais ; ils veulent contempler une dernière fois le chef qui fut pour eux l’objet d’une vénération presque superstitieuse ; les uns se jettent sur le corps du gouverneur en l’arrosant de leurs larmes, les autres font retentir l’air de mille imprécations. Parmi ces soldats au visage basané, on retrouve quelques mâles figures qui rappellent les beaux temps du Portugal. Ce sont encore, comme aux jours d’Albuquerque, les vétérans de l’Afrique et des Indes ; ils ne demandent qu’un chef pour venger Amaral. Le ministre de France était accouru avec le secrétaire de la légation, M. Duchesne, au premier bruit du malheur qui venait de frapper la ville de Macao. Profondément attaché au Portugal dont mille liens lui faisaient une seconde patrie. M. Forth-Rouen avait inspiré au loyal représentant de la reine dona Maria la plus entière confiance et la plus affectueuse estime. Les soldats l’entourent et ne veulent écouter que lui. « Vous étiez l’ami du gouverneur, s’écrient-ils ; prenez le commandement et marchez à notre tête ; vous nous aiderez à le venger ! » C’est avec peine que M. Forth-Rouen parvient à les calmer et à dominer sa propre émotion. Déjà d’ailleurs les six fonctionnaires sur lesquels allait retomber tout le poids du gouvernement s’étaient assemblés. Ce conseil, présidé par l’évêque et composé du juge, du commandant des troupes et de trois sénateurs, annonça aux habitans de Macao qu’en vertu des pouvoirs éventuels que lui conféraient les ordres de la reine, il avait pris la direction des affaires. Ce fut alors surtout que l’on comprit tout ce que la colonie avait perdu en perdant Amaral. Quel conseil pouvait dans ces graves circonstances remplacer un tel homme ! La junte de gouvernement s’empressa de réclamer l’assistance des ministres étrangers résidant à Macao, et d’après leur avis elle envoya demander des secours à Hong-kong. Une note énergique fut en même temps adressée au vice-roi du Kouang-tong. Le conseil rappelait avec indignation les placards provocateurs qui avaient précédé le meurtre, sans s’inquiéter de dissimuler les soupçons de connivence que de pareils reproches laissaient planer sur les autorités de Canton. Au nom de sa majesté très fidèle outragée dans la personne de son représentant, la junte de Macao demandait l’arrestation immédiate des meurtriers réfugiés sur le territoire chinois et la remise des restes mortels du gouverneur.

Le vice-roi de Canton n’était plus l’honnête et bienveillant Ki-ing. À ce mandarin tartare avait succédé depuis le mois de février 1848 un fonctionnaire chinois aux allures austères, d’un esprit âpre et