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par une dépêche plus pompeuse encore. Avec cette rare impudence qui forme le trait distinctif de la diplomatie chinoise, il se hâta de détourner au profit des flottes du Céleste Empire et des armées du royaume annamite la gloire que M. Bonham s’était cru en droit de décerner tout entière à la marine britannique. Les Anglais n’avaient donc remporté qu’une victoire stérile, ou plutôt ils avaient vaincu au profit du vice-roi de Canton, dont la feuille officielle de Péking ne tarda point à célébrer les triomphes.

Cependant les habitans de Macao soupiraient en secret après le retour de leur sécurité et la levée de l’état de siège. Le conseil portugais finit par comprendre qu’il fallait en passer par les conditions de Séou. Il avait entre les mains des témoins dont les dépositions auraient gravement compromis le vice-roi ; mais que pouvaient lui servir ces preuves accumulées d’une perfidie dont le Portugal ne serait jamais libre de tirer vengeance ? Le 28 décembre 1849, le conseil déclara que les trois soldats chinois détenus dans les prisons de Macao devaient être considérés « comme sérieusement impliqués dans le meurtre du gouverneur, qu’ils étaient prévenus d’avoir eu connaissance du projet des assassins et d’avoir favorisé leur fuite, qu’en conséquence il les livrait au vice-roi pour qu’ils fussent jugés conformément aux traités et selon les lois du Céleste Empire. » Deux jours après l’élargissement des soldats dont il avait pu un instant redouter les aveux, Séou faisait remettre à la junte portugaise les restes sacrés auxquels il devait le succès de sa négociation.

Quand la nouvelle du meurtre d’Amaral fut connue à Lisbonne, elle ; y produisit la plus vive émotion. Le gouvernement portugais s’occupa immédiatement d’envoyer à Macao un officier énergique investi de toute sa confiance, et une expédition maritime fut armée à la hâte[1]. Il suffisait peut-être que le Portugal montrât son pavillon dans le golfe de Pe-king pour que la réparation due à son honneur

  1. Ce fut à cette époque que M. Forth-Rouen reçut la juste récompense de sa conduite. Le conseil de gouvernement de Macao lui adressa la lettre suivante, que nous sommes heureux de pouvoir reproduire : « C’est avec la plus vive satisfaction, monsieur, que nous portons à votre connaissance les ordres qui nous ont été transmis par sa majesté très fidèle. Non contente de vous avoir déjà témoigné, par une dépêche commune à tous les représentans des puissances étrangères résidant à Macao, le haut prix qu’elle attache aux éminens services que votre excellence a rendus à cet établissement dans la situation critique où l’avait placé l’assassinat du gouverneur Amaral, la reine a voulu que le conseil vous informât en outre d’une manière spéciale qu’elle avait remarqué, avec une distinction toute particulière, la conduite noble et généreuse de votre excellence. Sa majesté s’est plu à reconnaître, par ce témoignage tout exceptionnel, les preuves décisives que vous avez données en cette occasion de l’élévation de votre caractère et de la justice que vous avez su rendre aux mérites du défunt gouverneur, victime d’un attentat inouï, dont vous avez contribué de tout votre pouvoir à poursuivre la réparation. »