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Si Beaumarchais a fort à faire pour calmer les querelles de quelques auteurs, il n’est pas moins embarrassé pour vaincre l’insouciance de plusieurs autres. C’est ainsi qu’il tiendrait beaucoup à la coopération de Collé. Le spirituel auteur de Dupuis et Desrouais et de la Partie de Chasse d’Henri IV a eu des démêlés assez vifs avec les comédiens français, et il pourrait très utilement servir la cause commune. Malheureusement Collé est devenu vieux, il n’aspire qu’au repos et ne veut plus se mêler de rien ; voici sa réponse à Beaumarchais :


« Je n’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 27 juin que le 9 juillet au soir, à ma campagne, où je suis inamoviblement jusqu’à la fin d’octobre. L’adresse mise au Palais-Royal, où je ne demeure pas, et la maladresse des suisses de Mgr  le duc d’Orléans[1] l’ont sans doute empêchée de me parvenir plus tôt, quoique je dusse l’avoir le lendemain. Je ne m’appesantis sur ces détails que pour ne point passer pour un impertinent aux yeux de l’auteur du charmant Barbier dont je me suis déclaré le plus zélé partisan. Je n’en manque pas une représentation.

« Quant à l’objet de votre lettre, monsieur, je vous avouerai, avec ma franchise ordinaire, que si j’avais été à Paris, je n’en aurais pas eu davantage l’honneur de me trouver à votre assemblée de MM. les auteurs dramatiques. Je suis vieux et dégoûté jusqu’à la nausée de cette chère troupe royale. Dieu nous en envoie une autre ! Depuis trois ans, je ne vois ni comédiens ni comédiennes.


De tous ces gens-là
J’en ai jusque là.


Je n’en souhaite pas moins, monsieur, la réussite de votre projet ; mais permettez-moi de me borner aux vœux que je fais pour son succès, dont je douterais si vous n’étiez pas à la tête de cette entreprise, qui a toutes les difficultés que vous pouvez désirer ; car vous avez prouvé au public, monsieur, que rien ne vous était impossible ! J’ai toujours pensé que vous n’aimiez pas ce qui était aisé. J’en juge par la hardiesse que vous avez eue de faire rire malgré elle au théâtre notre tendre nation, qui ne veut plus que pleurer ou être intéressée vertueusement, parce qu’elle n’a plus de vertus.

« J’ay l’honneur d’être très sincèrement, monsieur, etc.

« Collé. »
« À Grignon, près Choisy-le-Roi, ce 10 juillet 1777. »


C’est en vain qu’après le retour de Collé à Paris, Beaumarchais insiste pour enrôler ce vieux railleur dans la croisade contre les comédiens ; il n’en obtient que ce nouveau petit billet qui me semble encore assez plaisant :


« M. Collé remercie M. de Beaumarchais de son souvenir. Il le prie de nouveau de vouloir bien recevoir ses excuses sur l’affaire des comédiens. Il est trop vieux pour s’en embarrasser. Comme le rat de la fable, il s’est retiré dans son fromage d’Hollande ; il y a apparence qu’il n’en sortira pas pour

  1. Collé était secrétaire et lecteur du duc d’Orléans.