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concourir avec nous ; mais ceci n’étant pas dit pour vous, je me flatte, au nom de la société, que vous renoncerez à votre affligeant projet de retraite, et que, laissant là les questions oiseuses ou prématurées, un moment de saine réflexion nous rendra bientôt un confrère que nous aimons tous, et sur les lumières duquel nous avons infiniment compté pour assurer nos succès.

« J’ai l’honneur d’être avec la plus haute considération, monsieur, etc.

« Caron de Beaumarchais.
« J. Sedaine, pour adhésion. »

« Dès aujourd’hui je propose de me démettre, et je serai toujours d’avis que les commissaires soient inamovibles. Du reste, je ne pense pas qu’une ou deux voix contraires aux délibérations d’un corps doivent les infirmer.

« Marmontel. »

« Je pense comme M. de Beaumarchais ; je suis bien loin de tenir à ma place de commissaire, ayant prié l’assemblée de recevoir ma démission et l’en priant encore, vu mon âge et mon peu de santé ; je ne crois pas d’ailleurs que l’avis de M. Rochon doive l’emporter sur la décision générale.

« Saurin. »


Dans une autre lettre au même Rochon de Chabannes, Beaumarchais se plaint vivement des diverses influences qui tendent à désorganiser la naissante société des auteurs dramatiques. « La liaison des actrices d’un côté, écrit-il, la division des principes de l’autre, et je ne sais quelles prétentions, quels sourds mécontentemens et quels intérêts cachés, ne font plus, d’une compagnie de gens sensés, qu’un corps désuni plein d’animosités, de reproches et d’aigreur ; il est temps que cela finisse. »

Les comédiens, au contraire, marchaient au combat parfaitement unis. Non contens de payer des avocats habiles et éloquens, et de tirer parti de l’influence plus puissante encore du personnel féminin de la corporation, que Gudin compare au bataillon de Catherine de Médicis dispersant avec des caresses l’armée de Henri IV, les comédiens se procuraient des défenseurs dans les rangs même des auteurs dramatiques. C’est ainsi qu’ils avaient reçu et joué une très mauvaise tragédie de Nadir, par Dubuisson, à la condition que cet auteur se prononcerait contre ses confrères. Ce Dubuisson avait publié sa pièce avec une préface très injurieuse pour la société des auteurs, et, ce qui était plus grave, un homme de goût, mais qui n’avait guère que du goût, ce qui le rendait volontiers un peu jaloux de ceux qui avaient quelque chose de plus, Suard, alors censeur, s’était en quelque sorte associé à l’attaque de Dubuisson en approuvant sa préface et sa pièce. De là grande rumeur parmi les auteurs dramatiques. Les lettres pleuvent chez Beaumarchais. La Harpe demande qu’on délibère sur les moyens de faire justice de l’incroyable préface de l’incroyable tragédie de Nadir et de la malhonnêteté du censeur ; Sedaine et Marmontel ne sont pas moins furieux ; Gudin, dans sa colère, appelle