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Pour se fâcher d’une pareille lettre, il n’était pas nécessaire d’être très susceptible. La patience de Beaumarchais n’y tient pas. Voici sa réponse à Sedaine :

« Paris, ce 3 mai 1780.

« Je n’ai pas répondu, mon cher collègue, à votre lettre en la recevant, parce que la chaleur qui m’en a monté à la tête ne m’eût pas permis de le faire avec la sagesse convenable.

« J’ai passé ma vie entière à faire de mon mieux, au doux murmure des reproches et des outrages de ceux que je servais ; mais rien ne m’a peut-être autant outré que ce qui m’arrive. En vérité, on ne sait ici qui l’emporte, ou de la bêtise ou de la malhonnêteté. C’est assez pour moi ; qu’un autre fasse mieux, je l’applaudirai. J’ai fait de longues et sévères observations sur chaque article de ce ridicule arrêt ; j’ai refait ensuite les articles de l’arrêt, et mon travail de lundi a été montré hier à une heure à M. le duc de Duras par moi. Ce matin, je le porte à M. Amelot pour obtenir, d’accord avec M. le maréchal, la refonte de l’arrêt.

« Mais soit qu’on y touche ou non, le reste de cette semaine aura la continuation de mes soins comme commissaire, et nulle autre de ma vie n’y sera employée. — Assemblée sera indiquée à dimanche matin, où je rendrai compte de tout, et nulle considération humaine ne me retiendra plus longtemps à la suite de la très reconnaissante littérature dramatique.

« Au reste, tout ce que la sagesse de mes confrères eût fait sans le dîner de vendredi, elle est à même de le faire après et malgré ce dîner, qui n’a pas apporté d’autre changement à leurs affaires que la mort de quelques bouteilles de vin versées en l’honneur de la réconciliation.

« Il y a une récompense de 25 louis pour l’homme ingénieux qui pourra expliquer à l’assemblée de dimanche quel intérêt peut avoir, pour favoriser les comédiens contre les gens de lettres, le très bêtement accusé Beaumarchais.

« Je vous salue, vous honore et vous aime.

« Je sens, à la lecture de mon griffonnage, que ma tête est encore échauffée ; mais je le recommencerais en vain. Je me trouve un peu moins maître de moi que je ne le désirerais. »


À cette lettre ab irato, Sedaine, reconnaissant qu’il a eu tort, répond par une lettre affectueuse qui prouve que si l’auteur du Philosophe sans le savoir aimait un peu les commérages, il était au fond un excellent homme.


« Oui, mon cher collègue, écrit Sedaine, vous aviez la tête échauffée quand vous m’avez fait réponse. Peut-être cependant m’est-il échappé dans ma lettre quelque chose qui vous a fâché, car je sortais de la Comédie-Italienne, où l’on m’avait tenu des propos qui m’avaient mis en colère. Je ne peux cependant croire que vous ayez pris pour mes sentimens ce que je vous disais de nos ingrats et déraisonnables confrères. Cependant, à l’exception de trois ou quatre, le reste nous rend justice, et c’est à vous que nous la renvoyons. Si je vous ai dit quelque chose qui vous ait fait peine, je vous en demande très sincèrement excuse. C’est à vous à avoir de la sagesse ; elle vous fera plus d’honneur qu’à moi qui suis bien plus âgé que vous.