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dus par le ministère des chefs de claque, et constituant au profit de l’auteur une recette supplémentaire qui a dépassé quelquefois 50 francs par jour ! – En un mot, la société des auteurs, qui interdit à ses membres d’accepter moins que le prix convenu, ne devrait-elle pas leur interdire aussi d’exiger plus et de se livrer à des spéculations qui paraissent peu conformes à la dignité des lettres ? — Nous ne pouvons ici qu’indiquer ces questions ; si nous les posons, c’est uniquement afin de mettre en présence les faibles et difficiles commencemens de la société des auteurs dramatiques et l’état de prospérité dont elle jouit aujourd’hui. Ce contraste fait ressortir d’autant les services rendus par Beaumarchais, dont les efforts ont eu constamment pour but d’améliorer la situation des écrivains en général.

Resterait à se demander ce qu’il y a de bon et de mauvais dans cette hausse des produits littéraires au début de laquelle on rencontre l’action de Beaumarchais, comme on la rencontre à l’origine de plusieurs autres choses bonnes ou mauvaises de ce temps-ci. On a accusé parfois l’ardent avocat du droit d’auteur au XVIIIe siècle d’avoir contribué à développer l’industrialisme en littérature : il faut s’entendre. Beaumarchais n’a pas fait son siècle, il l’a trouvé tout fait, il a trouvé une société où l’amour du bien-être matériel, quoique moins développé qu’aujourd’hui, était déjà très fortement prononcé, où la richesse, qui de nos jours est tout, commençait à égaler et tendait à éclipser toutes les autres influences. Il a vu autour de lui des littérateurs pauvres, non par stoïcisme et par goût comme Rousseau (qui, sous ce rapport, est une exception au milieu de son temps), mais pauvres par ignorance des moyens de devenir plus riches, pauvres par suite d’une habitude invétérée de vivre mesquinement de pensions ministérielles ou de cadeaux obtenus de la munificence des grands, pauvres enfin par l’impossibilité de tirer un produit suffisant de leurs ouvrages, exploités sans habileté par les libraires ignorans ou confisqués par des acteurs rapaces et publiés sans aucune garantie contre tous les genres de spoliation. Dans cet état de choses, Beaumarchais qui, comme Voltaire, avait su devenir riche en dehors de la littérature, mais qui n’admettait pas, comme Voltaire, que l’homme de lettres qui n’est que cela fût nécessairement voué à la misère, Beaumarchais a pensé que sous la protection de lois plus justes, avec plus d’habileté dans les moyens de se mettre en rapport avec le public, la profession littéraire pourrait devenir une profession indépendante, se suffisant à elle-même, comme plusieurs autres, et capable d’assurer sinon l’opulence, au moins l’aisance à celui qui l’exerce avec probité et talent. Sous ce point de vue, Beaumarchais avait parfaitement raison ; il devançait son temps, il émettait une opinion hardie, devenue aujourd’hui une