Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être une des forces et une des gloires, et où elle ne pouvait sortir ni de la Virginie épiscopale ni de la Nouvelle-Angleterre puritaine La tolérance est née presque à la fois sur trois points dans ce pays, dont la loi était l’intolérance des anglicans au sud et l’intolérance des dissidens au nord. La liberté religieuse fut proclamée dans la colonie de Rhode-Island, au grand scandale des puritains, par Roger Williams, sectaire généreux, mais bizarre, qui enseignait que l’état ne doit pas persécuter les croyances, et en même temps ne voulait point assister au service divin avec sa famille, parce qu’il ne jugeait pas qu’elle fût régénérée, alliant ainsi la plus large tolérance avec le séparatisme le plus étroit. Dans le Maryland, un Irlandais catholique, lord Baltimore, établit aussi la liberté de croyance. Le catholicisme, instruit par la persécution et éclairé par l’esprit des temps nouveaux, donnait un noble exemple que le protestantisme aurait dû suivre, au lieu de bannir les catholiques de cet état de Maryland, où la tolérance des catholiques lui avait offert un refuge. On voit par ces deux exemples combien la liberté religieuse avait de peine à se dégager, et chez ceux qui la professaient et chez ceux même qui en goûtaient les bienfaits, des habitudes de l’intolérance et de la persécution.

Une secte qui avait débuté par les emportemens d’un fanatisme insensé, mais qui avait changé de caractère en grandissant, les quakers eurent la gloire de faire prévaloir dans une grande colonie le principe de tolérance qu’on leur avait si peu appliqué à eux-mêmes. Dans l’origine, ils allaient insultant les ministres dans leur chaire, et les quakeresses entraient nues dans l’assemblée des fidèles pour exprimer l’humiliation de l’église ; mais le temps de ces folies était passé. Revenus des égaremens où un zèle sans mesure avait précipité leurs premiers apôtres, les quakers, dirigés par Penn, professèrent réellement la tolérance et l’horreur du sang. Ils ne persécutèrent personne, et, entourés de nations sauvages, seuls parmi les colons américains, ne prirent jamais les armes et n’eurent jamais besoin de les prendre. On voit encore dans un faubourg de Philadelphie la place où était l’orme sous lequel Penn eut avec les Indiens cette fameuse entrevue dans laquelle il s’assit à terre, selon leur usage, partagea leur repas, finit par courir, sauter comme eux, et les vaincre dans ces exercices.

La secte pacifique a eu cependant ses dissensions intestines. Elle s’est partagée entre ceux qui sont restés fidèles à l’indépendance de leur église, qui ne reconnaissent d’autre autorité que l’autorité de l’inspiration individuelle, et ceux qui se sont rapprochés de l’église anglicane, dont leurs ancêtres furent les adversaires opiniâtres. Du reste, les quakers n’ont plus d’autre bizarrerie que le tutoiement et la forme de leurs grands chapeaux.