Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/606

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons visité la station de police nocturne ; elle se compose de cinquante hommes et un capitaine. Le capitaine reçoit 600 dollars (3,000 francs), et chaque homme 300 dollars (1,500 francs) ; presque tous sont des ouvriers. Le capitaine, homme intelligent, dirige un atelier de carrosserie où il gagne 300 dollars (1,500 francs). Les hommes ont quatorze heures de service l’hiver et dix l’été. Ils font tour à tour le guet. Chacun va seul, armé d’une masse, et porte une crécelle pour avertir au besoin ses compagnons et appeler du secours. En général on respecte la loi, il n’y a que les ivrognes et les bandits qui lui résistent ; mais, ce qui m’a étonné, il faut peu compter sur l’aide des citoyens. Outre la force qui est à la disposition du maire, il y a celle qui relève du marshall, lequel, en cas d’urgence, peut disposer de toutes les forces municipales. Ce que j’ai vu de cette organisation m’a paru monté à l’américaine, c’est-à-dire avec une précision et une exactitude parfaites.

J’ai terminé cette soirée d’une manière fort agréable chez le maire. La conversation a porté sur cet instinct aventureux qui pousse les Américains à tenter la fortune à tout risque. Pour l’obtenir, on va, par exemple, s’établir à la Nouvelle-Orléans, parce qu’on sait que le climat est dangereux l’été ; on meurt ou l’on s’enrichit. Cela ressemble beaucoup, sauf l’instinct de la gloire, au sentiment militaire qui fait désirer une campagne périlleuse dans laquelle il y a un avancement assuré pour ceux qui ne sont pas tués. On a raconté l’histoire d’un homme qui arrivait de Californie ; il avait fait tous les métiers : successivement agriculteur, marchand, capitaine de bateau à vapeur, il a fini par devenir très-riche ; il est revenu ne sachant que faire de son argent, le prêtant, le donnant à ses parens, auxquels il n’avait pas beaucoup pensé dans sa vie errante. Évidemment, la passion de cet homme n’était pas d’avoir de l’argent, mais d’en gagner. On y a parlé aussi du triomphe remporté en Angleterre par un serrurier américain, M. Locke. Le fameux Bramah avait proposé un prix pour celui qui ouvrirait une serrure qu’il avait mis toute son habileté à construire. M. Locke l’a ouverte, puis a placé 100 guinées dans un coffre, l’a fermé et a remis la clé à M. Bramah, en lui donnant les 100 guinées, s’il ouvrait le coffre. Je n’ai pas appris qu’il ait été ouvert. Le triomphe de M. Locke, la victoire du yacht America sur les yachts anglais dans une régate près de l’île de Whigt, le succès de la machine à moissonner, sont trois sujets sur lesquels la presse ne tarit pas. Il faut joindre à ces trois exploits industriels la supériorité de vitesse qui a permis aux bateaux à vapeur américains de faire le trajet d’Europe en Amérique plus promptement que les bateaux anglais. Ce sont comme quatre grands faits d’armes. C’est Arcole, Marengo, Austerlitz et Wagram. L’amour-propre national en est tout enivré.