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mère pauvre. On aime aussi à retrouver dans ce pays, au milieu de l’uniformité extérieure des mœurs générales, ces nationalités qui se conservent, perpétuées par un lieu de bienfaisance et de charité. C’est ainsi qu’à New-York chaque race a établi une société destinée à venir au secours de ses membres, sous le patronage du saint national, saint George pour les Anglais, saint André pour les Écossais, saint David pour les Gallois, et pour les Hollandais saint Nicolas. Une fois par an, les membres de ces sociétés se réunissent et dînent ensemble : dans celle des Hollandais, on donne à chacun des assistans deux pipes et un pot de grès hollandais plein de tabac, et l’on prononce des discours gais. Gaieté innocente et bienfaisante : c’est comme nos bals de société qui font murmurer quelques esprits austères ; pour moi, je n’ai jamais trouvé que le bien ne fût pas le bien parce qu’on le fait en s’amusant.

À Philadelphie, il y a encore assez bon nombre de Suédois. Ce sont les plus anciens habitans de l’état, où ils existaient déjà avant que Penn lui eût donné son nom. Ils ont leurs ministres qui doivent être luthériens, car le luthéranisme a toujours régné sans partage en Suède ; mais ils ne prêchent plus en suédois. Toutes les langues étrangères finissent par disparaître avec le temps devant la langue anglaise aux États-Unis, comme toutes les individualités nationales se fondent dans la nationalité anglo-saxonne.

C’est dans la ville née sous L’influence de la tolérance sans bornes de Penn et de la secte des amis que je devais entendre le sermon le plus intolérant auquel j’aie encore assisté en Amérique. Du reste, je dois dire que c’est aussi le plus éloquent.

La thèse de l’orateur était celle-ci : la sincérité de la croyance n’est point une excuse pour l’erreur. « La croyance sincère, a-t-il dit, peut être criminelle, car elle peut produire des actes criminels, et on juge l’arbre par son fruit. De plus, la croyance résulte du caractère moral et en reçoit l’empreinte. Dis-moi ce que tu crois, et je te dirai ce que tu es. Celui qui se trompe honnêtement est coupable, car en faussant les preuves de la vérité, il mutile les témoins. Or c’est un crime de mutiler les témoins. Les inquisiteurs étaient-ils innocens quand ils torturaient et mutilaient les témoins ? Quoi ! le géologue est innocent quand il évoque ses monstres antédiluviens contre la vérité ! Quoi ! il est innocent celui qui mutile la bible, et en la mutilant et la torturant la fait mentir ! Quoi ! les philosophes français du XVIIIe siècle étaient innocens ! Napoléon avait-il raison quand il opprimait la liberté sous prétexte d’étouffer la révolution ? Et le pauvre Shelley, qui dans une nuit orageuse s’écriait : Non, il n’y a pas de Dieu ; pensez-vous qu’il soit avec les élus ! Newport croyait qu’il n’y a pas d’enfer ; cela suffisait-il pour détruire l’enfer ? Celui qui tombe dans