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la cataracte l’évite-t-il parce qu’il ferme les yeux en se laissant choir au fond de l’abîme ? Le pilote au milieu des écueils durant la nuit tout entière se penche sur sa carte et veille au gouvernail pour éviter ces écueils : lui suffira-t-il, pour échapper au naufrage, de croire qu’il est dans la bonne direction[1] ? Faites comme lui, cherchez votre route, assurez-vous que ce qui vous semble la vérité est la vérité et non une apparence d’elle-même. » Le prédicateur a terminé par un morceau d’un effet vraiment formidable : « On croit que la route de l’enfer est sombre, qu’en approchant on doit voir des reflets livides, entendre des voix sinistres ; non, mes auditeurs ; cette route est charmante, elle est éclairée de la plus douce lumière : on croit entendre les chœurs des anges… on va, on va toujours… on arrive… ces chœurs des anges, c’était le cri des démons, cette clarté si douce, c’était la lueur de l’enfer ! »

Rhétorique brillante et sombre, pathétique, et féroce, qui charmera les intolérans de toutes les communions, et chacun prononcera avec transport cet anathème sur toutes les autres. Seulement, la bonne foi ne suffisant pas pour éviter la damnation, il serait utile de savoir dans quelle variété du protestantisme se trouve l’église hors de laquelle, suivant mon prédicateur, il n’y a point de salut ; malheureusement je ne me rappelle pas à quelle secte appartient la vérité du ministre de Philadelphie.

La plus grande curiosité de Philadelphie est le célèbre pénitencier de Cherry-Hill, dans lequel a été essayé plus en grand que partout ailleurs le système cellulaire appelé philadelphien, et qui est constitué par l’isolement continu avec le travail.

On s’est beaucoup passionné sur la question pénitencière en Europe et encore plus en Amérique. Le système d’Auburn, ou du travail en commun et en silence avec séparation seulement durant la nuit, a eu ses avocats ardens qui se sont élevés violemment contre le système philadelphien comme barbare, propre à causer la folie ou la mort. À ces attaques, les défenseurs du système de Philadelphie répondaient par une glorification sans bornes de leur idole, et les attaques de la société de Boston étaient traitées par eux très vertement. Ils déclaraient cette société éminemment respectable[2], mais ils affirmaient en même temps que c’était une réunion de fanatiques dont les rapports sur le système pensylvanien n’étaient que d’illicites et préméditées perversions de la vérité. Les deux méthodes ont encore des partisans : cependant les plus éminens publicistes qui se soient

  1. Cela suffirait au moins pour le faire acquitter devant un tribunal humain.
  2. Documens officiels sur le Pénitencier de l’est à Philadelphie, traduits par M. Moreau-Christophe, 1844, p. 33.