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enfans mâles blancs et pauvres, avec cette clause étrange que nul prêtre ou ministre d’une secte religieuse n’entrerait jamais dans le collège. Cette disposition est plus singulière encore aux États-Unis qu’elle ne le serait partout ailleurs, car dans ce pays presque tous les collèges ont été fondés sous l’influence et par l’entremise d’une secte quelconque. Jefferson, imbu des idées françaises du XVIIIe siècle, avait voulu créer l’université de Virginie en dehors de toute direction religieuse ; mais cela n’a pu tenir après lui. Du reste il ne faut pas croire que l’intention de Girard ait été d’exclure l’enseignement religieux du collège qu’il a fondé. Ce qu’il a voulu, c’est soustraire les enfans à ce qu’on appelle ici l’esprit sectairien. Des laïques viennent prêcher et catéchiser les élèves tous les dimanches. Pour ceux qui appartiennent aux diverses sectes protestantes, il n’y a pas d’inconvénient notable : le principal fait la prière deux fois par jour, il officie le dimanche matin, et le préfet des études le dimanche soir ; mais pour les enfans catholiques, et il y a un assez grand nombre d’enfans blancs et pauvres qui sont Irlandais et par conséquent, catholiques, pour ceux-là, qui forment un tiers du collège, la disposition bizarre du testament de M. Girard est un déni de culte et de religion ; les laïques ne peuvent leur dire la messe ni leur donner l’absolution. Les prêtres, et je le conçois, s’opposent à ce que les enfans catholiques entrent au collège Girard ; mais beaucoup de parens y consentent. Encore ici le programme est fort étendu. Il embrasse les mathématiques jusqu’à l’application de l’algèbre à la géométrie, la chimie, la physique, l’histoire naturelle, le français, l’espagnol, l’histoire générale et l’histoire des États-Unis. Voilà bien des choses à apprendre, et quand ils les apprendraient toutes, les enfans pauvres pourraient bien ne savoir qu’en faire quand ils sortiront du collège.

Cet établissement a un autre inconvénient, c’est la magnificence. M. Girard ayant laissé pour sa fondation une somme très considérable, on a voulu faire les choses en grand, et au lieu d’un collège, on a bâti un temple de marbre blanc un peu sur le modèle du Parthénon. Cette résolution n’était pas très sage, car, quand le monument a été terminé, il ne restait plus rien du legs énorme de M. Girard, et l’état a dû fournir la somme nécessaire pour faire marcher l’établissement Tout est en harmonie dans un pareil édifice : l’intérieur est comfortable et soigné ; l’on marche sur des nattes ; les pupitres des élèves sont couverts de serge verte. Cela est beau ; mais ces enfans qui ont l’air si propres, si bien mis, si heureux, que trouveront-ils en sortant d’ici ? On est fâché que la froide raison ne permette pas d’écarter ces réflexions sévères, car on aimerait à jouir sans trouble de ce spectacle unique dans le monde, d’un palais ouvert à la démocratie, de cet hommage à l’enfance pauvre souvent trop négligée.