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Ceux qui, dans nos villes d’Europe, mendieraient sur le pavé ou joueraient dans le ruisseau donnent ici sous un toit de marbre ; mais c’est un excès. Là où le peuple règne, il ne faut pas gâter les enfans du souverain, et Henri IV ne s’est point mal trouvé d’être élevé avec les petits paysans du Béarn.

J’ai visité le collège de Girard le jour où j’avais visité le pénitencier. Les deux édifices sont peu éloignés, et forment un singulier contraste : l’un triste et morne avec ses murailles hautes et grises comme une forteresse féodale ; l’autre riant et magnifique, avec ses colonnes de marbre blanc, comme un temple de Délos : et au dedans, là des coupables emprisonnés moins encore entre des murs que dans la solitude et le silence, comptant une à une toutes les heures qui se ressemblent, parce qu’elles n’ont pas de physionomie, comme se ressemblent les visages voilés d’une procession de spectres, ici d’heureux enfans tirés d’une humble demeure pour vivre dans un palais, et tels que je les ai vus pendant leur récréation du soir, remplissant ce magnifique séjour de leurs joyeux rires, de leur gaieté d’oiseau, puis allant dormir d’un frais sommeil dans de petits lits blancs à quelques pas de ces condamnés qui ont été aussi des enfans rieurs et insoucians. Et ces enfans si heureux, mais qu’on prépare peut-être mal à la société dans laquelle ils doivent vivre,… si l’un d’eux allait un jour habiter la cellule muette et s’étendre sur la rude couche des condamnés de Cherry-Hill !

J’aurais aimé à prolonger mon séjour dans cette ville ; mais le temps, qui s’était adouci, a tourné brusquement à un froid très vif. Comme le motif principal, sinon le but unique de mon voyage, est d’échapper à l’hiver, qui est partout mon ennemi, je suis obligé de fuir vers Washington, d’où je ne tarderai pas à gagner la Caroline du Sud et la Louisiane.

Il n’y a pas de pays au monde où les changemens de température soient plus brusques et les contrastes plus extrêmes qu’aux États-Unis. New-York, a, l’été, la température de Naples, et l’hiver, celle de Copenhague. Dans tout le nord des États-Unis, on passe presque sans transition d’une journée douce à une journée glacée. À Rome, la distance entre le maximum de chaleur et le maximum de froid est de 24 degrés ; à Salem, dans la Nouvelle-Angleterre, elle est de 51 degrés. Ces alternatives soudaines de chaud et de froid doivent durcir et tendre la fibre des Américains du Nord : c’est ainsi qu’on trempe l’acier. La chaleur des étés s’explique par la latitude : Philadelphie est à peu près sous le même degré que Naples. Les grands froids, entre autres causes, doivent tenir à ce qu’en Amérique les montagnes sont dirigées du nord au sud, et par là n’offrent aucun obstacle aux vents glacés du pôle.