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plus facile de dételer les chevaux des cantatrices européennes et de payer un billet de concert 1,000 dollars[1] que d’avoir le sens musical. Heureusement on peut être un grand peuple sans cela, les Anglais l’ont prouvé ; il est vrai aussi que ce sens peut se développer par l’éducation et l’exercice, nous le prouvons en France aujourd’hui.

Les Allemands sont aux États-Unis la ressource des orchestres et des concerts. La musique des régimens de milice est souvent exécutée par des nègres. La race noire est assez bien organisée pour le chant. C’est un point sur lequel les orgueilleux Yankees doivent se reconnaître une infériorité vis-à-vis de ces hommes dans lesquels certains d’entre eux reconnaissent à peine des créatures humaines. Le nègre est condamné par l’esclavage ou le mépris à une condition misérable ; mais il a reçu un don qui manque à ceux qui l’oppriment ou le dédaignent, la gaieté. Pour l’aider à supporter l’amertume de son sort, la Providence lui a donné le goût de la danse et du chant :

Le bon Dieu lui dit : Chante,
Chante, pauvre petit

Il est naturel de penser aux noirs le jour où j’ai mis le pied dans les états à esclaves. Chose étrange ! je pars pour Washington, je vais voir le congrès et le président de la république, saluer le Capitole, et je ne suis plus dans ce qu’on appelle ici les états libres.


J.-J. AMPERE.

  1. Du reste on a fait plus d’un conte en Europe sur cet enthousiasme excessif des Américains pour des cantatrices on des danseuses européennes. Mlle Fanny Essler n’a point siégé au congrès, n’a pas été portée en triomphe par les sénateurs, etc.