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— Eh ! madame, quand la politique parle, l’orgueil et les antipathies doivent se taire. D’ailleurs quelle alliance plus avantageuse avez-vous à me proposer pour George ? Ce mariage, songez-y bien, nous conserve un duché. De plus, calculez ce que nous trouverons là d’argent comptant ; la parcimonie et la richesse de George-Guillaume sont proverbiales, et depuis des années il thésaurise pour sa femme et sa fille.

— L’aîné de ma race, le neveu des rois d’Angleterre et de Bohême, épouser une personne de cette naissance ! Mais, en admettant que j’impose silence à ce que vous appelez mes préventions, comment vous y prendrez-vous pour rompre l’union projetée avec le prince de Wolfenbuttel et mener à bon terme les affaires de notre cher George ?

— Cette négociation vous regarde, vous, Sophie, et non moi, qui n’ai point l’honneur de posséder la confiance de monsieur mon fils, et suis d’ailleurs assez mal dans les papiers de mon bon frère.

— Moi, vous n’y pensez pas, Ernest ! Et la comtesse de Harbourg, ignorez-vous donc ses sentimens à mon égard ?

— Bah ! vous lui imposez, et le duc vous tient en très haute considération. Ne négligez pas, aussitôt arrivée à Celle, d’avoir une entrevue avec le ministre Bernstorff. C’est lui qui mènera tout, bien qu’à vous parler franc, je ne me doute guère de la façon dont il s’y prendra pour passer du camp du prince Auguste dans le nôtre. Au cas où vous verriez les affaires de George mal tourner, je n’ai pas besoin de vous dire qu’il faudrait à l’instant vous déclarer en faveur du Koenigsmark : un tel concurrent sera toujours pour nous moins dangereux que l’autre.

— George m’accompagne-t-il ?

— A Dieu ne plaise ! nous n’en sommes encore qu’aux préliminaires. Ne brusquons rien. Vous pouvez cependant prendre avec vous son portrait ; puis, dès que vous jugerez le moment convenable pour l’arrivée du prince notre fils, mandez-le-moi.

Cette dernière recommandation termina l’entretien où Ernest-Auguste et l’électrice Sophie venaient de débattre le funeste projet dont l’exécution devait, quelques années plus tard, jeter le trouble et le deuil dans leur maison. Sa résolution une fois prise, la duchesse Sophie de Hanovre ; mettait un certain amour-propre, une certaine bravoure à l’exécuter à l’instant. Aussi serait-elle partie le soir même, si le duc ne lui eût fait observer qu’encore fallait-il que la cour de Celle et le chancelier de George-Guillaume fussent d’avance prévenus de sa visite. Ernest- Auguste la quitta donc pour aller préparer ses dépêches, et, s’étant retiré dans son appartement, passa une partie de la nuit à travailler avec M. de Groote, son ministre.