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contre l’ascendant d’une des plus intelligentes princesses de l’époque, et, subjuguée à son tour, elle promit d’amener Sophie-Dorothée à se soumettre.

La duchesse Sophie quitta la résidence des seigneurs de Celle-Lünebourg aussitôt après le déjeuner et partit pour Hanovre, heureuse et fière d’avoir en vingt-quatre heures conduit à bien une négociation de cette importance. Quelques jours après cette visite de l’électrice Sophie à sa cour, George-Guillaume était assis en conseil et travaillait assisté des barons de Bernstorff et de Groote, les chanceliers respectifs des deux couronnes ducales. Son excellence M. de Groote, premier ministre d’Ernest-Auguste, ayant accompagné à Celle la duchesse Sophie, était resté seul après le départ de sa gracieuse souveraine pour s’entendre avec qui de droit sur divers articles du contrat de mariage. On venait d’aborder le chapitre de la dot, et ce point délicat provoquait entre les membres du puissant congrès une controverse des plus vives, lorsque la porte du conseil s’ouvrit tout à coup devant Sophie-Dorothée, qui, sautant sur les genoux de George-Guillaume et lui passant autour du cou ses jolis bras : — Est-il vrai, mon bon père, soupira-t-elle d’une voix attendrie et câline, est-il donc possible que vous ayez fiancé votre fille sans même l’en prévenir ?

— Oui, mon enfant, à la condition que tu y consentirais.

— Ah ! vous avez daigné mettre une condition : cela est magnanime, savez-vous, mon cher père ! Eh bien ! sous le sceau de cette condition, je vous déclare ici très solennellement que je refuse et que jamais votre prince George n’aura ma main.

Cet acte de rébellion flagrante dépita George-Guillaume d’autant plus vivement qu’il se passait en présence de deux personnages diplomatiques vis-à-vis desquels le duc de Celle s’était porté garant de l’obéissance de sa fille. Aussi son altesse, piquée un peu et sentant qu’elle avait à soutenir cette réputation d’autocratie dont elle se montrait si jalouse, manifesta sa mauvaise humeur d’une façon décidément rébarbative.

— Vous oubliez, ma fille, que le premier devoir d’un enfant incapable d’aviser à ses propres intérêts est de se soumettre à la volonté de ses parens.

— Alors pourquoi dire vous-même que ces arrangemens n’existent qu’à la condition que j’y consentirai ? Ah ! de grâce, mon père, si vous aimez votre fille, si vous ne voulez pas qu’on vous l’égorge, par pitié, rompez cet affreux mariage !

— Ah çà ! es-tu folle, ou prendrais-tu par hasard mon neveu George pour un ogre ?

À ces mots, Sophie-Dorothée ouvrit un livre de contes d’enfans