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qu’elle avait à la main, et, montrant à George-Guillaume la vignette qui représentait Barbe-Bleue : (Comparez, bon père, cette figure avec le portrait du prince George[1], et dites si ce n’est point la même physionomie.

— Nigaude que vous êtes ! reprit le duc. El voilà toutes vos raisons pour vous révolter contre un mariage que les plus puissans intérêts nous commandent, contre un mariage écrit là-haut ! M’entendez-vous, mademoiselle ?

— Eh bien ! puisque vous croyez à ce que disent les étoiles, vous ne vous étonnerez pas que j’écoute mes pressentimens et mes songes. Or j’ai rêvé, il y a trois jours, que la Barbe-Bleue m’assassinait, et le spectre avait exactement la tournure du petit mari que vous me destinez.

— Assez d’enfantillages ! et si vous ne voulez pas que je me lâche tout de bon, taisez-vous.

— J’obéis, mon père : mais quant à vous, n’oubliez pas que j’entends disposer à ma convenance de mon cœur et de ma main.

La mutine espiègle, au moment de se retirer, venait de reprendre son volume de contes, lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur les lignes suivantes inscrites en tête d’un parchemin : « Projet de contrat de mariage entre très haut, très noble et très puissant seigneur son altesse George-Louis de Brunswick-Lünebourg, prince héréditaire de Kalenberg-Hanovre, etc., etc., et très haute et très puissante dame Sophie-Dorothée, princesse de Brunswick-Lünebourg-Celle, héritière des comtés de Wilhelmsbourg, etc., etc. »

— La voilà donc cette fameuse raison d’état ! s’écria la pétulante enfant, dont une subite indignation enflamma les traits. C’est-à-dire qu’on me vend à cet homme, qu’on trafique de moi, héritière du comté de Wilbemsbourg qui vaut tant, de la terre de Thedinghausen qui rend tant ! Et la dot que j’apporte à votre maître, s’il vous plaît, monsieur de Groote, à quel chiffre s’élève-t-elle ?

Le négociateur circonspect de la maison de Hanovre cherchait son intonation la plus flûtée pour représenter à la princesse qu’il s’agissait d’un contrat et non point d’un trafic, et que le prince George, fils de son gracieux souverain, n’était en aucune façon l’ogre qu’elle imaginait ; mais l’intraitable jeune fille, incapable de se modérer, coupa net la parole au diplomate : -Épargnez vos excuses et vos flatteries, interrompit la princesse au comble de l’exaltation, et qu’il

  1. Toute cette scène est historique ; on la trouve littéralement rapportée dans le docteur Palmblad, écrivain suédois d’une érudition anecdotique abondante, habile surtout à feuilleter les papiers de famille, et qui, dans son ouvrage dont huit volumes ont déjà paru, recueille, annote et publie indistinctement tout ce que les archives privées lui offrent de curieux et de nouveau sur son sujet.