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votre altesse n’estime-t-elle point que par ce double jeu on arriverait à refroidir sensiblement de part et d’autre cette malencontreuse passion ?

— Sans doute, mais comment diable réduire des amoureux de cette espèce à se congédier réciproquement ?

— Je n’en ai nulle idée, monseigneur, et c’est pourquoi je me suis dit qu’on pourrait au besoin exécuter la chose sans le concours des deux personnes en question.

— Quoi ! de fausses lettres ? Fi ! Bernstorff, c’est là un moyen ignoble, et si vous n’avez rien de mieux à me proposer…

— Très bien ! Puisque son altesse a de ces scrupules, je retire humblement ma motion.

George-Guillaume, pensif et soucieux, allait et venait dans la chambre. Tout à coup cependant il s’arrêta, et, d’un air qui jouait la distraction : — Ça, monsieur, reprit-il, s’entend donc à contrefaire les écritures ? Encore un joli talent que je ne lui soupçonnais pas ! Et lors même que tu saurais imiter leur griffonnage, crois-tu donc, pauvre fou, que ces jeunes gens s’y laisseraient prendre, et que ton vieux jargon diplomatique puisse avoir jamais rien à démêler avec les chansons de l’amour ?

— A Dieu ne plaise que j’entreprisse une si délicate besogne ! mais j’avisais que peut-être, au cas où la combinaison serait goûtée de votre altesse, certains moyens d’exécution ne me manqueraient pas.

— Et je vous prie, où les cherchiez-vous, ces moyens d’exécution ? J’espère que vous n’avez pas compté sur la duchesse Sophie ; quand on a du sang de Stuart dans les veines, on ne se risque pas dans de si misérables intrigues.

— Sans élever mes regards jusqu’à la duchesse, n’y a-t-il pas à la cour de Hanovre certaine dame…

— Vous voulez dire la comtesse de Platen ? Je la crois en effet capable de tout. Et maintenant soyons francs, mon cher Bernstorff, vous sentiriez-vous disposé à prendre sur votre conscience l’entière responsabilité de cette affaire ?

— Mon devoir de sujet, ma fidélité, mon zèle ardent pour les intérêts de votre maison souveraine ne m’ordonnent-ils pas…

— D’encourir les peines éternelles ? Dame ! c’est beaucoup faire, et j’entends que vous soyez bien prévenu d’avance. Je vous le répète donc, Bernstorff, pouvez-vous prendre sur vous la fabrication de ces lettres, et vous sentez-vous le courage d’en répondre devant Dieu ?

— Calculez, monseigneur, que le souverain juge examine plutôt l’intention que la forme, et que le but excuse le moyen.

— Quant à moi, tout répréhensible et coupable que cet acte me semble, je ne puis vous empêcher d’agir selon vos convictions, et