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j’ajoute qu’il eût peut-être mieux valu, en pareil cas, faire ce que votre propre mouvement vous dictait et ne point me venir demander conseil.

À quelques jours de là, un message de Koenigsmark arrivait à la princesse, laquelle à son tour se trouvait avoir écrit à la même heure la même lettre d’adieux à Koenigsmark. Pour l’imitation de l’écriture et le style c’était parfait, et les deux amans tombèrent dans le piège. Sur Philippe, la lettre produisit à l’instant l’effet qu’on souhaitait ; plus on ne le revit dans le voisinage de Celle. Sur la princesse, au contraire, l’impression fût tout autre, et cette déplorable épître, coïncidant avec la nouvelle du mariage du prince Auguste, détermina chez elle l’explosion d’une maladie inflammatoire qu’avaient dès longtemps préparée tant de secousses, d’ébranlemens et de combats infligés à son organisation délicate. Le mariage subit d’Auguste de Wolfenbüttel, dont elle était loin d’attribuer la cause unique au désespoir du jeune prince, ce ton d’ironie et de persiflage qui régnait dans la lettre de Koenigsmark, éveillèrent dans l’esprit de Sophie-Dorothée l’idée qu’on ne l’avait recherchée que pour ses biens, et cette atteinte portée à sa fierté native, aux plus tendres illusions de son cœur, détermina une crise qui mit ses jours en danger. La fièvre dura six semaines, puis commencèrent les périodes chanceuses de la convalescence. Pendant sa maladie, Sophie-Dorothée avait vu les angoisses de ses chers parens ; à mesure que son rétablissement avançait, elle assistait à leur joie renaissante. Insensiblement le repentir la prit ; elle se reprocha sa désobéissance ; et, s’accusant d’ingratitude, s’évertua de son mieux à lutter contre une répulsion plutôt instinctive, et dont elle ne se rendait pas autrement compte elle-même. Une fois résignée, l’aimable enfant fit son acte de soumission ; la mère en pleura (que ce fût de bonheur, on n’oserait le dire), tandis que le père, qui ne voyait dans cette alliance qu’un avenir glorieux pour sa race, en éprouva un véritable contentement, et manda sur l’heure à son neveu qu’il eût à se hâter d’accourir. On obtint de Sophie-Dorothée qu’elle écrivit à sa belle-mère une lettre de respectueuse déférence[1], et Bernstorff toucha pour ses bons offices une somme si énorme, que, l’ivresse du moment passée, son gracieux maître fut comme épouvanté d’avoir pu se laisser aller à une munificence tellement exorbitante.

Peu à peu Eléonore crut remarquer qu’un changement notable s’opérait dans le caractère de Sophie-Dorothée. À cette humeur inconsidérée d’autrefois, à ces espiègleries qui trop souvent trahissaient l’enfant chez la jeune fille, un tempérament plus posé, plus réfléchi

  1. La lettre existe encore parmi les manuscrits du British Muséum.