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(et dire qu’il y a des gens qui prétendent encore que Watteau n’a point copié la nature !) Après le repas, son altesse électorale, mise en belle humeur par une pointe de vin de Champagne, voulut donner les violons à ces dames. Bergers et bergères ne demandaient pas mieux. Tityre jeta sur la fougère son habit de taffetas, Amaryllis ne garda sur son sein qu’une rose, et la ritournelle d’aller son train ! Les yeux s’appellent et se répondent, les couples se forment. Mme de Platen s’empare de Koenigsmark et l’entraîne. — Un boléro, monsieur le comte ! — Tout à toi pour aujourd’hui, mon Espagnole ! chuchotte Philippe à l’oreille de la brûlante magicienne, dont le philtre vainqueur le fascine irrésistiblement cette fois. Elisabeth et Kœnigsmark dansent ensemble, tous deux se mesurant du regard, s’éteignant et s’entredévorant, sans qu’on puisse dire, — dans cette lutte du désir et de la convoitise, — lequel possède et lequel est possédé.

— Cette comtesse est un vrai démon, murmurait de sa place le vieux duc-électeur tout en continuant à boire. Une fois partie, rien ne l’arrête. Que d’ardeur dans ses mouvemens, de passion dans sa pantomime ! comme elle plie et se cambre ! quelle souplesse et quels muscles !

En ce moment, la tête de son altesse, fort alourdie par la chaleur du jour et les fumées du vin capiteux qu’elle avait pris en abondance, s’affaissa sur sa corpulente poitrine, et bientôt des ronflemens pareils à ceux d’un orgue annoncèrent à l’échanson d’Ernest-Augusto qu’il pouvait interrompre ses fonctions, monseigneur s’étant endormi du sommeil du juste. Heureux état de quiétude et d’oubli qui l’empêcha de voir Philippe et la comtesse quitter le bal et s’éclipser tendrement sous les arbres ! L’heure du berger avait sonné pour les amours d’Elisabeth et de M. de Kœnigsmark. Le lendemain même de la scène que nous venons de raconter, le duc Ernest-Auguste dut se rendre à la diète de Ratisbonne où l’appelait cette dignité électorale dont il avait encore à recevoir l’investiture. Naturellement la favorite s’arrangea de manière à laisser son illustre amant partir seul, et tandis que le royal Géronte trônait en sa gloire au milieu des princes de l’empire, sa folle maîtresse, multipliant dans Hanovre ses déportemens et ses fredaines, oubliait les heures au bras du vaillant Koenigsmark. De cette passion et de son délire. Sophie-Dorothée n’ignorait aucun détail, et, bien qu’elle ne témoignât au dehors que du mépris pour la cruelle injure faite à son amour-propre, la princesse souffrait intérieurement un mal atroce. Triste, ennuyée, languissante, ses nuits se passaient dans le chagrin et dans les larmes, et la pauvre Knesebeck, sa fidèle suivante, assistait seule à ces longs