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découragemens d’une âme qui s’abandonne et n’ose s’avouer, de peur d’en rougir, la vraie cause de ses douleurs.

Après une de ces insomnies fiévreuses, Sophie-Dorothée, accoudée au balcon de sa fenêtre, ses riches tresses blondes dénouées sur son peignoir de mousseline, respirait la fraîcheur du matin, et, songeant aux chers ombrages des jardins de Celle, promenait ses yeux sur les charmilles embaumées du parc de la résidence. Tout à coup des pas mystérieux glissent sur le sol ; un homme traverse l’allée et se dirige, un rouleau de papier à la main, vers le bosquet où la princesse et sa dame de compagnie vont s’asseoir tous les jours. Cet homme, c’est Philippe de Kœnigsmark. Les yeux de Sophie-Dorothée ne l’ont pas reconnu à travers les brumes de l’aube, mais son cœur ne s’y trompe pas. — Le traître ! murmura la princesse, oser profaner le dernier asile de mes chagrins ! Et ce papier, que peut-il contenir ? Sans doute un rendez-vous qu’il me demande, quelque extravagante protestation d’amour, car il en est fou de cette femme !… Oh ! pour cette fois, je le saurai !

Descendre au jardin, courir au bosquet, saisir le rouleau déposé là par Philippe, puis remonter chez elle et déchiffrer, haletante, le secret envoi, fut pour Sophie-Dorothée l’affaire de trois minutes. Le rouleau renfermait simplement des vers. Aucun nom d’ailleurs, aucune initiale pouvant mettre sur la trace de la personne à qui l’hommage était destiné. Le premier mouvement de la princesse fut de croire que ce bouquet poétique s’adressait à Mme de Platen, et pourtant, à mesure qu’elle y réfléchissait davantage, son esprit ou plutôt, hélas ! son faible cœur élevait certains doutes. Quelle pouvait donc être cette Sylvie énigmatique ? Rien dans ces vers ne l’indiquait. Pourquoi dès lors ne se serait-elle pas attribué le compliment ? — Qui disait que M. de Kœnigsmark. n’avait point passé la nuit dans les jardins, guettant le moment où la princesse apparaîtrait à sa fenêtre pour lui faire parvenir ce doux message ? lui se dirigeant vers le mystérieux bosquet, n’avait-il pas regardé du côté du balcon ? N’avait-il pas toussé à deux reprises pour appeler l’attention de celle qu’il n’avait peut-être jamais cessé d’aimer ?

Lorsque, neuf ans auparavant, Philippe de Kœnigsmark s’était vu congédié de la résidence des ducs de Brunswick-Lünebourg par le père de Sophie-Dorothée, son cœur avait cruellement saigné de cette double blessure faite à l’orgueil de sa race, à l’amour sincère et profond qu’il ressentait pour la jeune princesse. Même après avoir dû renoncer à toutes ces espérances du premier âge, longtemps le comte était resté fidèle au culte de cette passion, longtemps l’image de Sophie-Dorothée avait régné seule dans cette âme encore naïve