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George-Guillaume de Celle-Lünebourg, éternelle dupe d’un ministre hypocrite et vénal, et qu’on représentait là sous des traits moins odieux encore que ridicules.

Armé de ces documens, le comte de Platen fut aussitôt dépêché à la cour de Celle, avec mission expresse d’amener une irréconciliable rupture entre le père et la fille. La négociation, grâce à l’énorme vanité du duc, réussit au gré de l’ambassadeur hanovrien. George-Guillaume avait à peine pris connaissance de ces lettres, où son auguste personnalité était, il faut le dire, fort irrévérencieusement baffouée, que tout l’amour qu’il avait ressenti pour cette fille unique, jadis l’objet de son adoration, se changea soudain en une véritable haine. Vainement la duchesse voulut intercéder, vainement l’orgueil d’Éléonore d’Olbreuse s’humilia devant le ministre de George-Guillaume, pour le supplier d’obtenir du duc son maître qu’il se rendit aux prières de Sophie-Dorothée, réclamant, assistance du milieu de ses bourreaux : le cauteleux, l’avare, le rusé Bernstorff déclina perfidement tout concours, et quant au père, il déclara, sur la foi des plus infâmes calomnies, que sa fille avait, par sa conduite, perdu ses derniers droits à l’affection comme à l’intérêt de sa famille, et qu’il l’abandonnait, sans rémission au sort qu’elle avait mérité.

Aussitôt le retour de M. de Platen, on instruisit à Hanovre le procès de la princesse électorale. Mlle de Knescbeck fut sévèrement entendue, et Sophie-Dorothée dut subir aussi un interrogatoire. À la nouvelle de la mort de Kœnigsmark, la princesse s’était écriée : « Noble Philippe ! mon brave, mon loyal ami ! cher confident de mes peines, mon seul soutien dans mes malheurs ! » Et dans ces exclamations trop vives échappées au désespoir de Sophie-Dorothée, dans ce tribut de sanglots payé au tendre compagnon de son enfance, l’accusation prétendait voir un irrécusable témoignage du crime. En l’absence du prince électoral, qui se trouvait à Berlin au moment de la catastrophe, ce fut le comte de Platen, grand-maréchal du palais, qui interrogea la princesse. Sur la question de savoir si elle avait formé le dessein de s’enfuir à Wolfenbüttel, Sophie-Dorothée répondit : « Oui, » sans la moindre contrainte ; mais quand on lui demanda de quelle nature avaient été ses rapports avec le comte de Kœnigsmark, sa fierté de femme et de princesse en ressentit un tel outrage, qu’elle se contenta de sourire dédaigneusement. Et comme son accusateur insistait, elle offrit simplement d’appeler Dieu en témoignage de son innocence et de communier devant tous à cet effet.

On dressa un autel dans l’appartement de la princesse ; on alluma les cierges, et là, en présence de ce que les deux cours de Hanovre et de Celle avaient de plus illustre, un service solennel fut célébré. Au moment de la communion, le prêtre qui officiait prit la parole,