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les livres saints, les légendes religieuses, les traites philosophiques. Auprès des radjas, il joue le rôle de directeur spirituel, laissant au pourochita (prêtre de la famille) celui de sacrificateur et d’officiant. Dans les grandes villes, il s’adonne à l’enseignement ; c’est lui qui transmet de génération en génération la connaissance des doctrines védiques ; c’est lui qui a tracé de sa main, avec sa plume de roseau, tant de précieux manuscrits sur feuilles de palmier, et fait arriver jusqu’à nous les monumens d’une littérature plus ancienne que celle de la Grèce. Le pandit est, à vrai dire, un lettré. Dans les bibliothèques fondées à Calcutta, à Madras, à Bombay, par les sociétés asiatiques, il s’emploie à revoir les textes, à les classer. Quand il s’agit d’imprimer un ouvrage sanscrit, les éditeurs trouvent en lui un correcteur consciencieux et habile. Voué à l’étude par état et par devoir, le pandit se contente d’un modique salaire. Quoique très fier de sa science, il ne cherche guère à se faire valoir, et trouve dans l’œuvre qu’il accomplit la plus grande récompense de son travail. Son orgueil est flatté de l’empressement que mettent les Européens à étudier les langues de son pays et les croyances dont il est lui-même le représentant. Il n’a pour les étrangers qui utilisent ses services ni haine ni affection, mais un dédain qu’il sait dissimuler à l’occasion. Le pandit est, avant tout, un brahmane qui tient aux privilèges de sa caste : pourvu qu’il exerce sur les esprits son influence, pourvu qu’on honore en lui le lettré et le théologien, il supporte sans murmure l’occupation étrangère.

On dirait d’ailleurs que les Hindous n’ont plus le sentiment de la nationalité Leur civilisation étant toute fondée sur le principe théocratique, ils n’ont guère eu le culte de la patrie à la manière des Grecs et des Romains : ils lui ont substitué celui des localités consacrées par la tradition. La terre sainte s’étend pour eux depuis Ceylan, illustrée par les exploits de Râma, jusqu’aux pics de l’Himalaya, où se cachent les sources des grands fleuves qu’ils adorent. Dans cette immense étendue de pays, combien de lieux célébrés par les poètes, vers lesquels la foule s’achemine en pèlerinage ! Ces familles qui voyagent lentement dans de petits chariots traînés par des bœufs, ces vieux brahmanes à barbe blanche qui marchent dans la poussière, une peau d’antilope sur le dos ; ces cavaliers à la fine moustache qui trottent sur leurs jolis petits chevaux, le bouclier suspendu à l’épaule, le sabre à la ceinture ; ces bandes de pauvres, chantant et criant à tue-tête, qui se traînent d’un village à l’autre sans autre bagage qu’une noix de coco dans laquelle ils recueillent le riz mendié aux portes ; ces troupes de laboureurs et de petits marchands qui conduisent par la main ou placent à califourchon sur leur cou des enfans harassés, — tout cela s’en va se plonger avec enthousiasme dans les eaux de la Djamouna ou du Gange. Quel Hindou n’a rêvé d’aller, au moins