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et de gouverner, pour ranimer le moral d’une masse éperdue, telle que fut un instant cette armée sans généraux. » Selon M. Grote, une autre troupe manquant de l’habitude grecque de la vie politique, incapable de délibérer d’une façon parlementaire, qu’on me passe ce mot, se trouvant dans la même position, aurait probablement succombé au découragement.

J’avoue que je ne puis partager l’opinion de M. Grote, quelque habileté qu’il ait mise à la soutenir. Sans doute le caractère et la fermeté de Xénophon eurent beaucoup d’influence sur le sort de ses camarades : sa bonne mine, ses belles armes, son éloquence naturelle, sa faconde athénienne, sa connaissance du cœur humain, le servirent utilement ; mais, à mon avis, ce qui sauva les Grecs, ce ne fut pas leur éducation politique, mais bien leur éducation militaire. Ils firent leur admirable retraite parce qu’ils étaient des soldats, non plus des citoyens. J’ajouterai que les mésaventures partielles qui leur arrivèrent chemin faisant furent causées par ces habitudes politiques que M. Grote admire, et qui au fond ressemblent fort à de l’indiscipline. C’est surtout dans une retraite que les vrais soldats montrent toute leur supériorité. Habitués a compter les uns sur les autres, confians dans l’expérience de leurs chefs, ils ne connaissent ni les paniques auxquelles sont sujettes les troupes de nouvelle levée, ni les inquiétudes continuelles qui les harassent plus que les fatigues de la guerre. Résolus, insoucians, habiles à découvrir des vivres, sachant se reposer lorsque le danger a cessé, les vieux soldats l’emportent par leur expérience encore plus que par leur courage. M. Grote, qui a si bien raconté la funeste expédition de Sicile, aurait pu se rappeler qu’alors les harangueurs ne manquaient point dans l’armée athénienne. Elle avait parmi ses chefs des gens de cœur et de bons capitaines, mais les soldats étaient jeunes : c’étaient des citoyens armés, faciles à décourager, s’alarmant de tout, raisonnant sur tout, écoutant leur imagination plutôt que la voix de leurs officiers. Certes, ce n’était pas avec une armée de citoyens que Suwarof fit sa belle retraite dans les montagnes de la Suisse avec les Français à ses trousses ; ses soldats ne délibéraient point : ils savaient souffrir et obéir.

C’est précisément l’organisation très vicieuse de l’armée grecque qui rend sa retraite si extraordinaire et qui fait la gloire de ses généraux. Élus par les soldats, ils n’avaient qu’une autorité assez précaire, bien différente de celle qu’auraient eue des chefs nommés par un gouvernement régulier sur une armée nationale. Aussi de temps en temps leurs soldats voulaient les lapider ou bien les juger. Il est vrai que ces velléités d’indiscipline ne leur vinrent jamais que dans de bons quartiers et hors de la présence de l’ennemi. En résumé,