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leurs chefs, qui, par leurs protestations de respect pour l’empire de Lacédémone, parvinrent à rassurer les harmostes et obtenir des vaisseaux pour les transporter en Europe. On les reçut assez mal à Bysance, où leur méchante réputation les avait précèdes ; ils furent contraints pour vivre de se louer à un roi de Thrace fort pauvre, mais avec lequel il y avait parfois de bonnes razzias à faire chez ses voisins. Enfin le gros de cette armée, diminuée par des désertions individuelles et par l’abandon de plusieurs petits corps qui profitaient d’occasions favorables pour retourner en Grèce, repassa une seconde fois en Asie et se mit au service de Lacédémone, en ce moment brouillée avec le grand roi, l’ancien ennemi des dix mille. Cette fin de leur expédition ne confirme-t-elle pas ce que j’avançais en commençant, à savoir que cette armée différait de toutes celles que la Grèce avait produites, précisément parce que l’esprit militaire y dominait le sentiment national ? La longue durée de la guerre du Péloponnèse avait créé des soldats dans un pays où l’on n’avait vu encore que des citoyens armés. La guerre était devenue une profession avouée, et bien des hommes, ainsi que Xénophon, la regardaient comme la plus noble de toutes. La fortune de quelques-uns des condottieri de Cyrus montra les avantages de cette carrière nouvelle. Depuis lors, l’Asie fut remplie d’aventuriers grecs, et c’est à ce pays que tous les hommes d’audace et d’ambition allèrent demander la gloire et la fortune.

À la fin de son huitième volume, M. Grote avait laissé Sparte parvenue à l’apogée de sa puissance, Athènes humiliée, et Lysandre donnant à toutes les petites républiques de la Grèce des gouvernemens de son choix. Les deux volumes suivans, outre l’épisode des dix mille, contiennent le récit de la révolution nouvelle qui dépouilla Sparte du prestige qui l’entourait. Son triomphe n’avait point été le résultat de sa force matérielle, encore moins de la supériorité de sa politique. Elle avait dû ses succès aux fautes de ses adversaires, au génie et au bonheur d’un grand capitaine, enfin à l’organisation militaire de ses troupes, alors mieux exercées que celles de toutes les autres cités helléniques. Lycurgue avait voulu que ses Spartiates, sans cesse surveillés les uns par les autres, ne connussent d’autres jouissances que les satisfactions de l’orgueil. Inattaquables dans leur vallée du Taïgète, ils n’en devaient sortir que pour frapper de grands coups, sans laisser à l’ennemi le temps de connaître ses vainqueurs. Il leur avait défendu d’étendre leurs limites, et le renom d’invincibles était le seul avantage qu’ils devaient chercher dans les batailles. La dernière guerre, en assujettissant toute la Grèce, épuisa les forces de Sparte. Cette nation ne réparait point ses pertes, et ses familles, décimées par le fer, ne se recrutaient pas par des adoptions